Pourquoi l’angoisse est rentable pour l’industrie pharmaceutique, hors toute théorie du complot

On nous répète que l’angoisse serait un déséquilibre chimique à corriger comprimé après comprimé.

Regardons autrement : l’angoisse n’est pas qu’une expérience intime, c’est aussi un terrain d’incitations économiques.

Pas besoin d’imaginer des conspirations : un enchaînement de règles, d’habitudes cliniques, de processus industriels et de comportements de marché peut transformer un signal humain (la peur) en flux récurrents de prescriptions.

L’enjeu n’est pas de diaboliser les médicaments (ils sauvent et soulagent), mais de distinguer ce qui relève de pratiques sanctionnées de ce qui découle de dynamiques légales mais discutables, et de clarifier où se loge la valeur.

La pompe à recettes

Imaginez une pompe qui tourne grâce à un filet continu d’angoisse.

  • Trop faible : pas de débit.
  • Trop fort : scandales, régulateurs.

Le réglage optimal, économiquement parlant, n’est ni la disparition de l’angoisse (plus de marché), ni l’explosion (risques juridiques), mais la chronicisation gérable :

  • Suffisamment fréquente pour justifier des millions de traitements,
  • Suffisamment prolongée pour devenir d’entretien,
  • et suffisamment banalisée pour qu’on ne remette pas en cause les environnements qui la produisent.

Repères et ordres de grandeur (pour éviter les intuitions)

Tendances internationales

Les données comparatives de l’OCDE montrent une hausse d’environ 50 % de la consommation d’antidépresseurs entre 2011 et 2021 dans les pays membres, avec un nouveau palier à la fin des années 2010.

C’est un marché de volume, alimenté à la fois par la durée des traitements et l’élargissement des indications (notamment les troubles anxieux traités par ISRS/SNRI).

France : usages persistants des anxiolytiques

En France, la HAS et l’ANSM rappellent que les benzodiazépines anxiolytiques doivent être courtes (semaines), à dose minimale, avec plan de sortie.

Dans la pratique, des renouvellements au long cours persistent, exposant à des risques connus (chutes, troubles de mémoire, accidents de la route). Les autorités sanitaires publient régulièrement des mises au point et des outils d’aide à l’arrêt.

Marchés « voisins » très rémunérateurs

Les anxiolytiques historiques sont majoritairement génériqués.

La rentabilité s’est déplacée vers des classes adjacentes :

  • Certains antidépresseurs (ISRS/SNRI) pour troubles anxieux,
  • Gabapentinoïdes (ex. prégabaline),
  • Formes XR/LP ; ou associations.

Des produits comme duloxétine (Cymbalta®) ou prégabaline (Lyrica®) ont représenté, à leur apogée, plusieurs milliards de dollars par an.

Causalité ≠ corrélation : ce que disent (et ne disent pas) les courbes

Il serait abusif d’inférer de la seule hausse des prescriptions que l’industrie a fabriqué la demande. Plusieurs facteurs non commerciaux expliquent aussi la montée :

  • Meilleure reconnaissance des troubles (dépistage, moindre stigma).
  • Transfert d’indication (ISRS/SNRI utilisés pour TAG, TOC, ESPT, etc.).
  • Recommandations qui, pour certains profils, prolongent la durée pour prévenir les rechutes.
  • Chocs sociétaux (crises économiques, pandémie) qui augmentent le besoin réel.

L’économie éclaire la part incitative du système, pas toute l’histoire, et la clinique reste au centre. Les médicaments sont utiles. La question est où, combien de temps, et avec quel accompagnement.

Comment l’angoisse devient un modèle d’affaires (légal, le plus souvent)

Chronicisation : transformer l’aigu en entretien

Clinique

  • Prolonger se justifie parfois (prévenir rechute).
  • Système : sans plan d’arrêt dès le départ, les traitements glissent vers le “on continue par inertie”.

À l’échelle populationnelle, cela crée une rente récurrente : stocks de patients sous traitement + flux d’entrants.

Des essais récents montrent pourtant qu’une déprescription est possible pour une part des patients, à condition d’un suivi organisé (médecin traitant, paliers, information sur les symptômes de sevrage).

Extension d’indications & voisinage des troubles

Beaucoup de molécules voient leur champ d’usage s’étendre (douleur, anxiété généralisée, somatisations).

Les gabapentinoïdes ont ainsi gagné du terrain avant d’être ré-encadrés face aux signaux de mésusage/dépendance dans plusieurs pays (dont la France).

Légal, mais questionnable quand l’extension dépasse la qualité de preuve.

Marketing direct au public (là où c’est permis) et disease awareness

La publicité directe au consommateur des médicaments sur ordonnance est interdite en UE mais autorisée aux États-Unis, où elle influence la prescription (études avec patients standardisés).

Partout, existent des campagnes disease awareness (information sur une maladie) qui contournent parfois la ligne rouge en créant une demande informée.

Management du cycle de vie

Nouvelles formes XR/LP, isomères, combinaisons, switchs de molécules proches. Tout ce qui prolonge la semi-exclusivité commerciale après brevet.

Légal et courant, mais pas toujours synonyme de bénéfice clinique supplémentaire.

Pratiques problématiques : distinguer le pénal du structurel

Ce qui a été sanctionné (cas documentés)

  • Promotions hors AMM : plusieurs laboratoires ont été condamnés pour avoir promu des usages non autorisés (ex. Neurontin®/gabapentine – Seroquel®/quétiapine).
  • Antitrust / pay-for-delay : accords retardant l’arrivée de génériques.

Ces cas illustrent des dérives. Elles ne résument pas le secteur, mais confirment que les incitations existent, et que les régulateurs doivent rester vigilants.

Ce qui est légal mais interroge

  • Durées de traitement qui s’allongent sans revues régulières.
  • Extensions d’usage dans des zones où la balance bénéfices/risques est modeste.
  • Awareness sponsorisée qui floute la frontière entre information sanitaire et création de marché.

Ici, la politique de santé (rémunération du temps clinique, formation, indicateurs de qualité) pèse autant que l’industrie.

Les boucles iatrogènes : quand le pansement piège le patient

Benzodiazépines : efficacité courte, coûts longs

Très utiles à court terme, les benzodiazépines voient leur balance se dégrader en usage prolongé (dépendance, chutes, cognition, conduite).

Les autorités françaises rappellent les durées limitées, le tapering progressif, et les alternatives. L’inertie de renouvellement entretient pourtant un fond de cuve de prescriptions.

Gabapentinoïdes : un angle mort devenu visible

Prégabaline (autorisée pour le TAG en Europe) a connu une montée des signalements d’abus/dépendance.

Les encadrements (ordonnances sécurisées, addictovigilance) ont été renforcés. Ce chevauchement douleur – anxiété brouille les lignes entre soulagement légitime, usage de confort et mésusage.

Antidépresseurs dans les troubles anxieux : oui, mais…

Les ISRS/SNRI ont une efficacité sur de nombreux troubles anxieux. Le problème survient à l’arrêt :

  • Symptômes de sevrage chez une fraction non négligeable,
  • Rechutes possibles.

Des programmes de soins primaires montrent qu’un accompagnement structuré (paliers lents, psychoéducation, accès téléphonique) permet à une partie des patients de réduire/arrêter en sécurité.

Cela demande du temps clinique – souvent mal rémunéré – et une coordination qui ne rapporte rien alors que le renouvellement est simple.

Effets psychologiques, affectifs et sociaux du modèle tout renouvelable

Psychologie : la culpabilité chimique

Quand la norme implicite devient : « ne pas être traité = imprudence », on culpabilise celles et ceux qui voudraient réduire à bon escient. On court-circuite aussi le sens potentiel de l’angoisse (signal d’alerte sur l’environnement).

Affectif : externaliser l’ajustement

Le soulagement pharmacologique est précieux. Mais, en réflexe systématique, il peut appauvrir les répertoires d’ajustement (négociation, limites, entraide, changements organisationnels).

Social : hiérarchies d’accès

Les plus favorisés obtiennent psychothérapies et aménagements. D’autres obtiennent surtout des renouvellements. À trouble équivalent, horizons différents.

Objections utiles (et réponses nuancées)

Les médicaments sauvent des vies, c’est vrai

Les médicaments stabilisent des états sévères et réduisent des risques (suicide, décompensation). L’article ne prône aucune anti-médicalisation. Il plaide pour planifier, réévaluer, déprescrire quand c’est pertinent, et financer le temps nécessaire.

La hausse des prescriptions reflète aussi une meilleure reconnaissance. Vrai aussi…

C’est une partie de l’explication. Mais si les revues de traitement sont peu incitées/financées, l’inertie alimente mécaniquement la chronicisation.

L’arrêt est cliniquement complexe, pas qu’économique. Encore vrai

Sevrages, rechutes, comorbidités. Il faut compétence et temps. D’où cette proposition : rémunérer la revue périodique et la déprescription (au lieu de ne payer que l’acte de renouvellement).

Que faire maintenant ? (cliniciens, décideurs, patients)

Cliniciens : check-list pragmatique

  • Poser la durée-cible dès l’initiation, avec critères de poursuite/réduction.
  • Programmer une revue (ex. à 6–12 semaines puis à 6 mois).
  • Informer sur les symptômes de sevrage possibles, et proposer un tapering lent si réduction.
  • Documenter alternatives/compléments (TCC/ACT, hygiène du sommeil, activité physique, gestion caféine/alcool, résolution de problèmes).
  • Rechercher les causes (travail, sécurité, deuil, précarité) et coordonner si besoin.

Décideurs : les leviers structurels

  • Financer le temps clinique de revue/déprescription (forfaits, ROSP, indicateurs qualité).
  • Encadrer les campagnes disease awareness sponsorisées (transparence).
  • Maintenir l’interdiction UE de publicité directe au public pour les Rx. Surveiller la publicité déguisée via plateformes.
  • Ouvrir l’accès aux psychothérapies validées (remboursement, guichets de première ligne).
  • Produire et publier des indicateurs (durées moyennes, revues effectuées, taux de réduction).

Patients : une boussole simple

  • Ne jamais arrêter seul ; demander un plan gradué (paliers, rythme, signes d’alerte).
  • Mettre à l’agenda une revue périodique (« on en reparle dans X semaines »).
  • Demander l’option non pharmacologique en complément (et pas « à la place » s’il y a une indication forte).
  • Traquer le sens : que dit l’angoisse sur votre situation ? Si l’environnement est toxique, ne pas tout internaliser.

Que faire avant de renouveler / arrêter ? Mémo par acteur

Objectif : décider avec méthode, limiter l’inertie de renouvellement et sécuriser un éventuel arrêt.

  • Patient
    Avant renouvellement
    • Demander une revue des symptômes & des effets indésirables
    • Clarifier objectifs, bénéfices/risques, alternatives (TCC/ACT, sommeil, activité)
    • Vérifier interactions (alcool, caféine, autres médicaments)
    Avant arrêt / réduction
    • Obtenir un plan écrit de “tapering” (paliers & rythme)
    • Savoir différencier sevrage vs rechute
    • Fixer un point de contact & un RDV de suivi
    Outils / repères
    • Journal GAD-7 / PHQ-9 (auto-suivi)
    • France : 3114 en cas de crise suicidaire
  • Médecin traitant
    Avant renouvellement
    • Réévaluer l’indication, la dose & la durée (BZD < 2–4 sem.)
    • Dépister comorbidités / facteurs contextuels
    • Proposer compléments non pharmacologiques (TCC/ACT, hygiène du sommeil)
    Avant arrêt / réduction
    • Co-construire un tapering personnalisé
    • Psychoéducation au sevrage, plan de suivi (toutes 2–4 sem.)
    • Activer les relais (psy, ressources locales)
    Outils / repères
    • Guides HAS / ANSM
    • Échelles GAD-7, PDSS
    • Plan écrit remis au patient
  • Psychiatre / Psychologue (TCC/ACT)
    Avant renouvellement
    • Revalider le diagnostic (TAG, panique, ESPT, TOC, etc.)
    • Mettre en place un plan combiné (exposition/ACT + traitement)
    Avant arrêt / réduction
    • Choisir un timing stable (éviter périodes à haut stress)
    • Protocoles d’exposition graduée & prévention de rechute
    Outils / repères
    • Protocoles TCC/ACT
    • Fiches de psychoéducation patient
  • Pharmacien
    Avant renouvellement
    • Vérifier duplications / interactions
    • Rappeler les durées BZD & conduite à tenir
    Avant arrêt / réduction
    • Conseiller formes / paliers adaptés au tapering
    • Orienter si symptômes sévères de sevrage
    Outils / repères
    • Notes ANSM, dossier pharmaceutique
  • Décideur / Manager (santé publique, établissements)
    Avant renouvellement
    • Financer la revue de traitement (ROSP/forfaits)
    • Améliorer l’accès aux psychothérapies validées
    Avant arrêt / réduction
    • Forfaits de déprescription, formation au tapering
    • Suivre des indicateurs (durées, revues, taux de réduction)
    Outils / repères
    • Politiques HAS/ANSM, OCDE
    • Interdiction UE de la pub Rx grand public
Rappel : ne jamais arrêter un psychotrope sans avis médical. Ce mémo n’est pas un avis médical.

La métaphore de la ville aux bouches d’égout

La ville a des bouches d’égout pour évacuer la pluie.

Si on bétonne sans repenser l’écoulement, chaque averse crée une crue. L’angoisse, c’est la pluie. Nos environnements (travail, logement, sécurité) sont le béton, et les médicaments, les égouts qui évitent la noyade en attendant la prochaine averse.

Alors, soigner, oui, mais aussi désimperméabiliser la ville, et réaménager les causes.

Quand consulter (quand même)

  • Si l’angoisse coupe le travail, les études, le sommeil, la relation,
  • S’il y a idées suicidaires ou symptômes physiques sévères, consultez rapidement
  • (médecin ; urgences ; en France, 3114 pour la crise suicidaire, 112 ou 15 selon la situation).

Les médicaments sauvent et stabilisent. La question n’est pas “pour ou contre”, mais où et comment s’en servir sans enfermer.

Réparer l’écosystème, pas seulement gérer le symptôme

L’angoisse est une alarme, pas seulement une cible pharmacologique.

Tant que nos systèmes rémunéreront mieux le renouvellement que la réévaluation, tant que la déprescription restera non financée, l’économie de l’angoisse restera prospère.

La voie adulte n’oppose pas pilules et thérapie. Elle organise les sorties, finance le temps clinique, répare les milieux anxiogènes et clarifie la frontière entre pratiques sanctionnées et dynamiques légales mais discutables.

C’est à ce prix qu’on passe d’un marché de l’angoisse à une politique de la santé mentale.

N.B : Cet article ne remplace pas un avis médical. Ne modifiez jamais un traitement sans avis professionnel.

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Ceci ne remplace pas un avis médical. En cas de nécessité, contactez les services d’urgence.

Comment l’agoraphobie féminine masque la violence urbaine

On parle d’agoraphobie comme d’un bug intime :

  • Peur de la foule,
  • Des transports,
  • Des places.

On en fait une affaire de cerveau anxieux, de troubles à soigner à huis clos. Et si c’était, très souvent, une réponse rationnelle à un environnement objectivement hostile ?

Quand on médicalise la peur des femmes en ville, on dépolitise la violence qui s’y exerce. Dès lors, on traite des symptômes individuels tout en blanchissant l’architecture sociale qui fabrique l’insécurité et l’évitement.

La carte qui rétrécit

Imaginez un plan de métro où, chaque fois qu’une femme est sifflée, frottée, suivie, une station s’efface.

À force, la carte se ratatine. On évite telle ligne, tel parc, telle sortie tardive. La clinique baptise ça agoraphobie. Mais le mot camoufle parfois le mécanisme réel : des agressions répétées qui transforment l’espace public en peau de chagrin.

Agoraphobie : ce que dit la clinique et ce qu’elle oublie

Côté symptômes, l’agoraphobie est bien documentée :

  • Attaques de panique,
  • Évitement des espaces difficiles à quitter,
  • Comportements de sécurité.

Les femmes sont deux fois plus touchées dans plusieurs enquêtes (≈ 0,9 % hommes vs 2 % femmes en prévalence vie entière dans certaines séries).

Les référentiels (HAS, NICE) insistent justement sur le piège de l’évitement et recommandent des approches exposées, graduées, pour réentraîner le cerveau à tolérer l’inconfort, avec ou sans médication selon les cas.

Tout cela est juste à une condition oubliée : l’exposition n’a de sens que si l’environnement est réellement sécurisant.

Or, une part du danger n’est pas imaginaire. Il est social.

La ville n’est pas neutre : que montrent les chiffres

Au niveau européen, un tiers des femmes déclarent des violences physiques et/ou sexuelles au cours de la vie. Une sur deux rapporte des faits de harcèlement sexuel.

Établis dès 2014, ces ordres de grandeur ont été confirmés et actualisés en 2024. Le tableau n’a donc pas fondamentalement changé.

En France, les données publiques et para-publiques pointent la même ligne de fracture :

  • Dans les transports, 95 % des victimes de violences sexuelles sont des femmes (INSEE/SSMSI, données issues des enquêtes Cadre de vie et sécurité).

Le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) documente depuis 2015 un continuum allant des micro-agressions aux délits, et souligne l’ampleur du phénomène dans les transports.

Son avis a servi de base au plan national contre le harcèlement dans les transports.

En 2023, la communication gouvernementale rappelle que 87 % des femmes déclarent avoir déjà subi du harcèlement ou des violences sexistes/sexuelles dans les transports.

Les pouvoirs publics créent des comités dédiés. À l’échelle mondiale, l’OMS rappelle l’ampleur structurelle.

Près d’1 femme sur 3 subit des violences physiques et/ou sexuelles au cours de sa vie. Ce n’est pas un bruit de fond. C’est l’arrière-plan systémique qui reconfigure la perception du risque.

Le paradoxe de la peur ou la lucidité des femmes

La littérature urbaine parle parfois du paradoxe de la peur : une peur plus élevée dans l’espace public alors que beaucoup d’agressions se jouent dans la sphère privée.

Critiqué par les féministes, ce paradoxe s’éclaire dès qu’on observe l’usage réel de la ville : harcèlement, intrusions, poursuites, attouchements dans les flux et interstices de la mobilité (quais, correspondances, bus bondés), qui conditionnent les trajectoires quotidiennes.

Ce qu’il faut comprendre c’est que la peur n’est pas irrationnelle, elle est expérientielle et apprise.

Comment la médicalisation efface la violence

Pour de nombreuses femmes, nommer agoraphobie ce qui relève d’une exposition chronique aux violences et aux menaces déplace la focale :

  • Du collectif vers l’individuel : on conseille des techniques d’auto-apaisement plutôt que des mesures d’aménagement et de police.
  • Du structurel vers le psychique : on pathologise des conduites adaptatives (éviter une ligne la nuit) en oublie qu’elles répondent à un risque différentiel.
  • Du droit vers le coping : on encombre la consultation, on vide la plainte.

Pendant ce temps, certaines villes bricolent des solutions cosmétiques (campagnes d’affichage, applis de trajet sûr) au lieu d’attaquer le design, la surveillance effective, le last-mile et la réponse pénale.

Psychosocial : le coût caché de l’évitement

Quand la carte urbaine se rétrécit, les coûts explosent :

  • Économiques : refus d’un poste (horaires tardifs, trajets longs), taxi systématique, renoncement aux loisirs.
  • Éducatifs : moins d’accès aux événements du soir (conférences, réseaux), moindre capital social.
  • Sanitaires : isolement, dépression, renforcement des troubles anxieux par apprentissages d’évitement.
  • Civiques : la moitié de la ville devient un privilège conditionnel, pas un droit.

Des travaux sur la mobilité genrée montrent que les femmes réagencent leurs horaires, évitent des correspondances, et raccourcissent leurs trajets nocturnes, y compris dans des pays très égalitaires.

La norme patriarcale, intérieure au tissu urbain, persiste.

Droit et politiques publiques : quand ça bouge (et quand ça cale)

En France, la loi du 3 août 2018 crée l’outrage sexiste (harcèlement de rue) et renforce l’arsenal contre les violences sexuelles.

Des plans dédiés visent les transports. C’est une avancée, mais l’effectivité dépend de la plainte, des moyens, de la formation des agents et des preuves.

Au niveau international, UN Women – Safe Cities outille les municipalités pour concevoir l’espace avec et pour les femmes :

  • Audits de sécurité participatifs,
  • Éclairage ciblé,
  • Aménités,
  • Procédures d’alerte,
  • Collecte de données géolocalisées.

Ici, la ville cesse de psychiatriser la peur et répare ses joints.

La ville-parapluie troué

La psychologie peut apprendre à tenir un parapluie (respiration, réévaluation, exposition graduée).

Mais si le tissu est troué (gares sans personnel, couloirs aveugles, trains bondés sans vidéoprotection utile, impunité des attouchements), on finit trempé.

La bonne question n’est pas : « Pourquoi la passante n’aime pas la pluie ? », mais « Qui a percé le parapluie et qui le répare ? »

Agoraphobie vs. vigilance justifiée : tri clinique indispensable

Côté clinicien·nes, il y a trois points pratiques :

Historique circonstancié

Distinguer un trouble anxieux primaire d’un évitement conditionné par des événements répétés (harcèlement, attouchements, filatures).

Modèle mixte

TCC et exposition oui, mais avec un plan de sécurité (horaires, accompagnement, itinéraires), lien police/terrain, et travail de trauma si nécessaire.

Éducation

Expliquer les comportements de sécurité (vigilance, coin de wagon, place de retrait).

Ne pas les diaboliser, les désensibiliser progressivement si et seulement si l’environnement est fiabilisé (présence agents, boutons d’alerte, arrêt à la demande la nuit, etc.).

Les guides (NICE/HAS) sont clairs. L’exposition fonctionne lorsqu’elle contredit une anticipation erronée, pas quand elle confirme un danger.

Quand consulter malgré tout

Si votre peur des espaces publics ou des transports devient envahissante, consulter peut vous aider. Les approches validées (approche systémique brève, TCC, exposition graduée, ACT, travail du trauma) sont efficaces lorsqu’elles sont adaptées à votre situation.

Quand consulter en urgence

  • Vous avez des idées suicidaires,
  • Il y a un risque immédiat,
  • Présence de symptômes physiques sévères (douleur thoracique, malaise prolongé, confusion, signes neurologiques),
  • Flashbacks ou dissociations après un traumatisme récent.

En France

Composez l’un des numéros suivants :

  • 3114 (24/7, gratuit),
  • 112 (urgences),
  • 15 (SAMU).

Prenez rendez-vous rapidement (sous 1–2 semaines) dans les cas suivants

  • Évitement qui restreint le travail, les études ou la vie sociale depuis au moins un mois.
  • Attaques de panique récurrentes et imprévisibles, avec anxiété d’anticipation.
  • Usage d’alcool ou de médicaments pour sortir/prendre les transports.
  • Dépression, troubles du sommeil, irritabilité marquée.
  • Difficultés à effectuer des trajets même en conditions sécurisées (accompagnée, en journée).

Qui consulter

  • Médecin généraliste : premier bilan, exclusion de causes somatiques, orientation.
  • Thérapeute Palo Alto, psychologue TCC ou psychiatre : évaluation (agoraphobie, trouble panique, stress post-traumatique, phobie sociale) et plan de soins.
  • CMP ou structures locales si l’accès privé est difficile.

À quoi vous attendre

  • Plan combinant exposition graduée (avec mesures de sécurité réalistes), réévaluation cognitive, travail du trauma si nécessaire, et éventuellement un ISRS selon avis médical.
  • Objectifs fonctionnels (reprendre un trajet, un horaire, un lieu) et un suivi mesuré dans le temps.

En attendant le rendez-vous

  • Privilégiez des expositions très brèves et prévisibles (en journée, accompagnée),
  • Stabilisez sommeil et repas, limitez la caféine,
  • et n’interrompez jamais un traitement (anxiolytiques, antidépresseurs, neuroleptiques) sans avis médical.

Ce que les chiffres changent dans la tête

91 % des victimes de violences sexuelles dans les transports sont des femmes (données françaises récentes) inverse la charge de la preuve.

Le problème n’est pas dans leur tête, il est dans le système (contrôle, tolérance sociale, justice). On comprend mieux pourquoi l’agoraphobie devient, chez beaucoup, une stratégie d’autoprotection.

Pourquoi l’angle agoraphobie arrange tant de monde

  • Les plateformes vendent des applis rassurantes.
  • Les entreprises cochent la case bien-être en finançant des ateliers de respiration.
  • Les politiques communiquent sur l’incivilité plutôt que sur la violence.
  • La ville se contente d’éclairer quelques trottoirs sans mailler les trajets de nuit ni doter les agents.
  • Tout le monde agit sur l’individu mais peu d’acteurs modifient l’écosystème.

Effets de cliquet : quand l’évitement devient norme de genre

Une fois l’évitement installé, il devient auto-renforçant (chaîne anticipation → évitement → soulagement immédiat → maintien du schéma).

La thérapie comportementale appelle ça un conditionnement négatif. Mais la ville, elle, apprend des conduites des femmes :

  • Moins de présence féminine après 21 h,
  • Moins de témoins féminins,
  • Éventuellement, plus d’impunité pour les agresseurs.

La norme de genre s’épaissit, et l’espace public se masculinise au crépuscule.

Ré-architecturer la ville : 10 mesures concrètes (et évaluables)

  1. Présence humaine : agents visibles et joignables (quais/stations clés), pas seulement des caméras.
  2. Boutons d’alerte et interphones fonctionnels avec retour (signalement → action visible).
  3. Arrêt à la demande la nuit (bus) systématisé et évalué.
  4. Éclairage par parcours (liaisons gare-domicile), pas seulement par points.
  5. Sanctions effectives de l’outrage sexiste (contraventions aggravées dans les transports), levée des freins procéduraux.
  6. Bystander training : former usagers et personnels à intervenir sans danger.
  7. Design anti-angles morts (miroirs, lignes de fuite, marquages au sol pour staff).
  8. Live-ops : cartographier en temps réel les points chauds via signalements publics et décisions de déploiement (modèle Safe Cities).
  9. Parcours jeunes : éducation au droit à la ville (non-consentement, témoins, procédure).
  10. Évaluation indépendante (victimation et sentiment de sécurité, pas seulement l’incivilité).

Ce que l’industrie du bien-être ne peut pas faire à votre place

Aucune application web, aucune respiration n’empêche un frottage dans une rame bondée.

Les programmes bien-être n’ont pas montré d’impact massif et réplicable sur la santé dure en entreprise. De la même façon, leur équivalent urbain (affichage + appli) échoue s’il ne s’attaque pas à la source.

La prévention primaire – organisation, présence, sanction – reste le levier.

L’agoraphobie est parfois un diagnostic-paravent

Quand tout pousse les femmes à rétrécir leur territoire urbain, la solution clinique qui se limite à désensibiliser sans sécuriser revient à leur demander d’élargir seules la carte.

L’iconoclasme consiste à renverser la charge : la ville a un trouble d’attachement à ses habitantes.

C’est à elle d’aller en thérapie (design, police, justice), pendant que la clinique s’occupe d’aider chacune à récupérer ses marges en tandem avec la réparation collective.

Mode d’emploi pour praticiens, décideurs et usagères

Praticiens

  • Évaluez la part de menace réelle.
  • Associez exposition et sécurisation.
  • Travaillez la flexibilité (ACT/TCC) sans minorer le vécu.

Décideurs

  • Fixez des indicateurs publics (délits/contraventions par ligne, temps de réponse, audits de parcours) et publiez-les.

Usagères

Documentez, signalez, mutualisez les trajets sûrs, réclamez vos données locales (elles existent (Enquêtes : CVS, ONDRP/INHESJ hier, SSMSI aujourd’hui).

Redonner la ville aux femmes : clinique et politique

L’agoraphobie n’est pas une invention ; c’est un vécu, parfois invalidant, qui mérite traitement. Mais nommer ne suffit pas si l’on dé-nomme la violence qui l’a fabriquée.

Les chiffres (EU-FRA, OMS, INSEE/SSMSI) établissent l’évidence. L’insécurité urbaine est genrée. Continuer à gérer la peur au cas par cas sans reconstruire l’environnement, c’est demander à chaque femme de porter l’armure que la ville refuse de forger.

  1. Réparer les joints (loi, police, design),
  2. Réentraîner les circuits (thérapies validées),
  3. et élargir la carte (mobilité, culture, nuit)…

…Voilà le triptyque d’une société adulte.

Tant que nous psychiatriserons l’agoraphobie féminine sans politiser la violence urbaine, nous continuerons de soigner les ombres et à laisser les murs debout.

Comment l’industrie du bonheur nous rend malheureux

On nous vend la psychologie positive comme une lotion miracle :

  • Pensée optimiste,
  • Gratitude quotidienne,
  • Respiration cohérente,
  • Applications qui notifient la sérénité à 9 h et à 18 h.

Cette industrie a des effets utiles – je vais y revenir – mais elle a aussi un angle mort massif : la dévalorisation systématique des émotions dites négatives (tristesse, colère, peur, honte), pourtant indispensables à l’ajustement humain.

La conséquence en est qu’au lieu d’outiller la lucidité, on fabrique de la culpabilité (« si tu vas mal, c’est que tu pratiques mal »), de l’évitement, et une politique du bien-être qui détourne le regard des causes structurelles.

Le vernis hydrophobe

Imaginez un bois brut exposé à la pluie.

On lui passe un vernis hydrophobe : l’eau perle, la surface brille, tout semble protégé mais l’humidité s’infiltre aux jointures.

La psychologie positive industrialisée agit parfois comme ce vernis. Elle fait ruisseler les émotions indésirables hors du champ visible sans traiter les points d’entrée :

  • Deuil,
  • Surcharge,
  • Injustice,
  • Conflit,
  • Conditions de travail.

On garde le selfie radieux, et on cache les joints qui gondolent.

Ce que dit la science (sans manichéisme)

Il ya a cependant une bonne nouvelle : les interventions de psychologie positive (PPI) peuvent améliorer modestement le bien-être et réduire les symptômes dépressifs à court terme.

Une méta-analyse (Bolier et al., 2013) l’a montré, tout en soulignant la qualité hétérogène des études et la nécessité d’essais plus robustes.

D’autres synthèses plus récentes confirment des effets petits à modérés, le bien-être subjectif par exemple, lorsque les programmes combinent plusieurs composantes (forces, gratitude, sens), avec des tailles d’effet de l’ordre de g ≈ 0,34–0,39 selon Hendriks et al. (2020).

Mais il y a une mauvaise nouvelle. L’idéologie du plus de positif a produit des excès célèbres comme le positivity ratio 3 :1 (trois émotions positives pour une négative) popularisé par Fredrickson & Losada, démonté pour erreurs mathématiques et rétracté par American Psychologist en 2013. Ainsi, les équations miracles des émotions n’existent pas.

Plus profondément, la course au bonheur peut faire reculer le bonheur.

Des travaux expérimentaux montrent que valoriser intensément le fait d’être heureux augmente les déceptions et l’affect négatif quand la réalité ne suit pas (Mauss et al., 2011), et des synthèses récentes nuancent ce paradoxe du bonheur.

Nier le négatif : ce que ça fait au corps, à la cognition, aux liens

Suppression émotionnelle

Se forcer à sourire réduit l’expression mais augmente les coûts physiologiques (charge cardiovasculaire, échappées de stress), et se relie à un bien-être moindre comparé à la réévaluation (Gross & Levenson ; Gross & John).

Autrement dit, cacher n’est pas réguler.

Coût social

La suppression chronique se paie en relations plus pauvres et soutien moindre. On devient lisse, mais distant.

Émonodiversité

Des données populationnelles suggèrent qu’une diversité d’émotions, y compris négatives, est associée à moins de symptômes dépressifs et moins de recours médical.

En bref, un écosystème émotionnel varié serait plus sain qu’un jardin monospécifique tout-positif (effet discuté mais robuste dans plusieurs échantillons).

Le déni émotionnel comme politique du travail

Les institutions aiment les solutions individuelles :

  • Ateliers de gestion du stress,
  • Applis mindfulness,
  • Challenges bien-être.

L’évidence robuste en entreprise rappelle pourtant une chose simple. Les risques psychosociaux (RPS) proviennent d’abord de la conception et de la gestion du travail (intensité, horaires atypiques, faible autonomie, insécurité, conflits).

Les agences européennes et françaises demandent de prioriser les mesures collectives (organisation, charge, clarté, prévention primaire) avant les bricolages individuels.

Mais, qu’en est-il de l’évaluation sérieuse des programmes bien-être ?

Essai randomisé par clusters

BJ’s Wholesale Club (grande distribution, USA) : Essai randomisé par clusters (sites tirés au sort). Au bout de 18 mois, les salariés exposés au programme rapportent quelques comportements “plus sains”… mais aucune différence sur les marqueurs de santé, les dépenses ou l’absentéisme.

Un suivi à 3 ans ne retrouve pas non plus d’effets cliniques ou économiques majeurs. Autrement dit : un peu d’auto-déclaratif positif, pas d’impact dur mesurable.

2) PepsiCo (programme “bien-être” maison)

L’évaluation RAND distingue deux volets :

  • Maladies chroniques (disease management) → ROI positif (baisse des coûts chez les salariés déjà malades).
  • Lifestyle / prévention grand public → pas de ROI (coûts ≥ bénéfices).

En clair, la partie coaching forme/diète/mindfulness pour tous ne paie pas au plan financier, même si elle peut plaire aux équipes. L’impact mesurable vient surtout du suivi ciblé des pathologies existantes.

Important

Les données robustes montrent des gains modestes (souvent auto-rapportés) et un impact structurel limité sur la santé, l’usage des soins et les coûts, surtout quand on diffuse des programmes lifestyle “one-size-fits-all”.

Pour changer la donne, il faut agir à la source (charge, autonomie, justice) et cibler ce qui compte (maladies chroniques, design du travail).

Des essais randomisés en entreprise (BJ’s Wholesale Club, ~33 000 salariés) ont montré peu ou pas d’effets sur les marqueurs de santé, dépenses et absentéisme, malgré quelques auto-déclarations de comportements plus sains.

Le grand rapport RAND (États-Unis) conclut à des bénéfices variables et souvent limités hors modules de gestion des maladies chroniques.

En clair, l’offre foisonne mais l’impact structurel reste mince.

L’industrie de la positivité : un marché qui adore les problèmes privés

Le marché du bien-être prospère si le problème reste défini comme personnel.

Apps, coaching, e-learning, séminaires sur l’optimisme. Tout cela fonctionne parfois, mais dépolitise l’émotion. On externalise la toxicité des environnements sur l’individu qui doit mieux respirer au lieu d’obtenir mieux travailler.

Les organismes publics (EU-OSHA, Eurofound) documentent la montée des RPS (intensification, horaires atypiques, télétravail non maîtrisé) et appellent à agir à la source.

La métaphore de la poubelle à tri émotionnel sans bac à déchets

Dans un open-space, on installe une poubelle à tri avec un bac nommé joie, un autre appelé gratitude, et un dernier dénommé motivation.

Mais on oublie le bac colère, on ne fait pas une place au bac tristesse et, bien évidemment, on interdit le réceptacle peur.

Du coup, les déchets émotionnels encombrent les bureaux, ferment les gorges, et saturent les nuits. La psychologie positive comme injonction fabrique ce paradoxe. Plus on exige du positif, plus l’ombre gonfle.

Ce que la psychologie positive fait bien (quand elle est humble)

Elle donne des outils peu coûteux pour initier un changement (gratitude, forces, actes prosociaux).

Elle complète, mais ne remplace pas, la réparation des conditions (charge, sens, justice).

Les PPI multicomposantes semblent plus cohérentes (effets petits à modérés). Gardons-les comme vitamines, pas comme antibiotiques universels.

Trois angles morts qui font mal

La norme du sourire

Demander toujours du positif, c’est institutionnaliser la suppression avec ses coûts somatiques et relationnels. Dans certains secteurs (santé, éducation, services), c’est de l’emotional labor : surface acting imposé, corrélé à épuisement et risques santé.

La magie des ratios

Promettre une alchimie émotionnelle par formule est scientifiquement hasardeux (l’épisode du positivity ratio l’a suffisamment rappelé).

La privatisation du mal-être

Transformer la souffrance collective en marché individuel (apps, challenges) dilue les responsabilités organisationnelles. Les données européennes cadrent clairement les sources du stress :

  • Design du travail,
  • Intensité,
  • Manque d’autonomie.

Conséquences psychosociales du positif à tout prix

Culpabilité

« si je n’y arrive pas, c’est que je pratique mal ».

Atrophie émotionnelle

Vocabulaire pauvre du négatif  : diagnostics tardifs (deuil compliqué, colère morale, anxiété).

Conflit de loyauté

On s’équipe pour supporter l’insupportable au lieu d’exiger des changements.

Cécité structurelle

On psychologise l’injustice (précarité, horaires éclatés, violences) en évitant la discussion politico-organisationnelle. Les références publiques françaises (INRS) recommandent exactement l’inverse : prévenir à la source, collectivement.

Une alternative : l’acceptation active et non la résignation

Les approches dites contextuelles (ex. ACT, Acceptance and Commitment Therapy) ne démonisent pas les émotions négatives. Elles travaillent l’acceptation et la flexibilité psychologique pour agir en direction de ses valeurs, malgré l’inconfort.

La littérature montre que l’évitement expérientiel (fuir sensations/pensées pénibles) prédit plus de souffrance, et que des protocoles d’acceptation/défusion peuvent améliorer divers indicateurs (stress, douleur, santé mentale).

Ce n’est pas aimer la tristesse. C’est cesser de la combattre pour disponibiliser l’énergie vers l’action.

Lire le négatif comme signal : une écologie de l’émodiversité

Plutôt que de débrancher la moitié du tableau de bord, cultivons l’émodiversité :

  • Nommer précisément ce qui se passe (irritation ≠ colère ≠ indignation),
  • Écouter la fonction (alerter, protéger, réorienter),
  • Négocier une réponse adaptée (limites, recours, modification du contexte).

Les travaux sur l’emodiversity suggèrent que des répertoires émotionnels riches (positifs et négatifs) sont associés à de meilleurs indicateurs de santé mentale et même biomarqueurs inflammatoires plus favorables, point encore débattu mais conceptuellement fécond.

Et maintenant ? Un cahier de route iconoclaste

Réhabiliter le négatif utile

Dans les équipes

Rituels où l’on traite explicitement une émotion difficile (colère, peur) en lien avec un fait (charge, bug, incivilité), puis une demande et une décision.

Dans les familles et écoles

Lexique émotionnel fin (cartes, affiches), pas seulement content/triste/énervé.

Recentrer sur les causes

En entreprise

Audits RPS orientés organisation (intensité, autonomie, justice procédurale), avant les apps et ateliers. Les institutions européennes et l’INRS insistent sur la prévention primaire.

Désenchanter les promesses

Marketing du bonheur

Exiger transparence sur effets réels. Les essais randomisés de programmes de bien-être montrent surtout des changements auto-rapportés, mais peu d’impact sur santé et coûts.

Former à la régulation (pas à l’évitement)

Diffuser des compétences de réévaluation, acceptation, assertivité, demande d’aide, plutôt que la simple suppression. La recherche est claire sur les coûts du smile management.

Gouvernance des émotions au travail

Clarifier les règles d’affichage émotionnel (service, relation client) pour éviter le surface acting imposé. La littérature sur l’emotional labor relie ces attentes floues à l’épuisement.

Objections fréquentes (et réponses rapides)

« Mais la psychologie positive, ça aide des gens ! »

Oui, comme complément. Les effets existent mais sont modestes et hétérogènes. Ils ne justifient pas de nier le négatif ni de dépolitiser la souffrance.

« Si on autorise la colère, tout part en vrille »

C’est faux. Nommer une colère organisée évite justement les explosions et les somatisations. La suppression chronique coûte plus cher au lien et à la santé.

« Les programmes bien-être réduisent les coûts »

Les meilleurs essais randomisés trouvent surtout des effets comportementaux auto-rapportés, pas d’amélioration claire des biomarqueurs ou coûts à court terme.

Sortir du positivisme d’ambiance

La psychologie positive n’est pas l’ennemi. C’est son industrialisation qui nie trop souvent le rôle adaptatif des émotions dites négatives et relocalise la détresse au niveau individuel.

Une écologie émotionnelle mature traite la colère comme signal d’injustice, la peur comme signal de danger, la tristesse comme travail de perte, la honte comme boussole sociale, et change l’environnement quand c’est nécessaire.

Choisir l’acceptation active, la régulation fine et la prévention collective n’est pas du pessimisme. C’est ce qui rend possible un bien-être adulte qui agit sur les causes plutôt que sur les symptômes.

Important

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Le stress comme miroir social : Ce que votre épuisement révèle du système

On ne soigne pas une société avec du yoga en entreprise.

Et si le stress était moins un ennemi qu’un miroir impitoyable ? On nous vend depuis vingt ans le stress comme une toxine à éliminer :

  • Débrancher,
  • Respirer,
  • Hacker son cortisol.

Et si c’était l’inverse ?

Si le stress n’était pas seulement un poison, mais un révélateur sans filtre qui renvoie l’image de nos contraintes réelles, de nos inégalités et de l’architecture sociale qui fabrique l’urgence comme norme ?

Le problème n’est pas d’avoir du stress, c’est d’ignorer ce qu’il révèle sur nos environnements, nos choix collectifs et les rapports de pouvoir qui structurent notre quotidien.

Le détecteur de fumée qui dérange

Le stress, c’est un détecteur. Quand il sonne, on coupe rarement l’alarme en disant « tout va bien« , on cherche la source. Mais dans notre société, on préfère vendre des bouchons d’oreilles.

Les sciences du stress ne disent pas « moins de stress signifie aller mieux« . Elles disent que tout dépend du niveau, de la durée et surtout du sens. Un stress bien dosé avec du contrôle et du soutien peut aiguillonner l’action.

Un stress prolongé sans marge de manœuvre finit par casser l’instrument. Cette distinction est cruciale.

Ce n’est pas le stress en soi qui tue, c’est l’impuissance face au stress. C’est l’impossibilité de dire non, de modifier son environnement, d’être reconnu.e pour ses efforts.

Mais attention à ne pas tomber dans le piège inverse : tout stress n’est pas systémique. Certaines personnes développent des réponses de stress disproportionnées même dans des environnements objectivement favorables, souvent en raison de facteurs neurobiologiques, de traumas personnels ou de patterns cognitifs acquis.

L’interaction est complexe : un terrain individuel sensible peut amplifier des contraintes modérées, tandis qu’une résilience personnelle forte peut atténuer des pressions objectives importantes. Le stress révèle autant nos vulnérabilités individuelles que les dysfonctionnements systémiques.

Le stress révèle l’architecture du pouvoir

  • Qui peut refuser une réunion inutile ?
  • Qui peut négocier ses horaires ?
  • Qui a le droit de craquer sans que ça devienne un problème personnel ?

Ce que le miroir révèle (et qu’on n’aime pas voir)

Les inégalités de classe face au stress

Les cadres stressés font du coaching. Les ouvriers stressés prennent des anxiolytiques. Cette différence n’est pas anecdotique. Elle révèle des inégalités d’accès aux ressources de contrôle.

Les populations précaires cumulent tous les facteurs de risque :

  • Haute demande,
  • Faible autonomie,
  • Horaires subis,
  • Reconnaissance insuffisante.

Pendant que les privilégiés optimisent leur stress avec des apps à 15€/mois, d’autres subissent des contraintes structurelles sans marge de négociation.

Le contrat psychologique brisé

L’effort consenti n’est plus reconnu.

On demande plus de performance avec moins de moyens, plus de flexibilité avec moins de sécurité, plus d’engagement avec moins de perspectives.

Cette rupture du contrat effort-récompense génère ce que la recherche appelle :

  • La colère froide, laquelle s’exprime par la résignation, le cynisme, et la somatisation.

La fragmentation du temps social

Mails 24h/7, télétravail sans règles, objectifs contradictoires, réunions sans fin.

Le stress moderne naît souvent de l’impossibilité de hiérarchiser, de dire non, de préserver des temps de récupération. L’urgence devient la norme, l’exception devient la règle.

L’industrie qui prospère sur votre épuisement

Pendant que le stress individuel explose, une économie florissante se développe autour de son mode de gestion :

  • Applications de méditation (marché de 1,2 milliard de dollars) qui vous vendent la sérénité pendant que votre patron vous bombarde de mails.
  • Coaching en entreprise qui vous apprend à gérer votre stress sans questionner l’organisation du travail qui le produit.
  • Industrie du bien-être qui transforme l’épuisement collectif en marché individuel de solutions.

Cette économie a un intérêt objectif à ce que le problème reste défini comme personnel. Plus vous êtes stressé.e, plus vous consommez de solutions. Moins on remet en cause les causes structurelles, plus le marché prospère.

L’iconoclasme nécessaire

Il serait opportun de se poser la question de savoir pourquoi on vous vend de la résilience individuelle plutôt que de changer les systèmes qui vous épuisent.

Le stress comme révélateur des rapports de domination

Dans le couple

Qui porte la charge mentale ? Qui peut se permettre de décompresser le soir ? Le stress domestique révèle des inégalités de genre souvent invisibilisées.

Au travail

Qui a le droit à l’erreur ? Qui peut exprimer son désaccord ? Le stress professionnel cartographie les hiérarchies de pouvoir avec une précision chirurgicale.

Dans la société

Qui peut choisir son lieu de vie ? Qui subit les nuisances environnementales ? Le stress urbain dessine les inégalités territoriales et sociales.

Le stress n’est pas démocratique. Il frappe d’abord ceux qui ont le moins de marges de manœuvre pour s’en protéger.

Quand la société externalise sa toxicité

La responsabilisation individuelle du stress est un tour de passe-passe politique magistral. Elle permet aux institutions de continuer à produire des environnements toxiques tout en renvoyant la charge de l’adaptation sur les individus.

  • L’école produit des enfants anxieux avec ses évaluations permanentes, puis leur propose des ateliers gestion du stress.
  • L’entreprise intensifie la charge de travail, puis finance des séminaires bien-être pour ses salariés.
  • La société détruit les liens sociaux et les repères, puis développe un marché de la reconnexion et du sens.

Cette externalisation de la toxicité sociale sur l’individu est l’un des mécanismes les plus pervers de notre époque. Elle transforme les victimes du système en clients des solutions qu’il génère.

L’orchestre, pas le violon

On traite souvent le stress comme un violon désaccordé : « fais du yoga, dors mieux, respire« . Mais ce n’est pas l’instrument qui est seul en cause, c’est :

  • L’orchestre,
  • La partition (objectifs),
  • Le chef (management),
  • L’acoustique (outils),
  • La salle (cadre légal),
  • Le public (clients).

Changer de cordes sans changer la partition garde la dissonance.

Un exemple concret

Une infirmière stressée peut apprendre toutes les techniques de relaxation du monde. Si elle doit gérer 40 patients avec les moyens pour 20, son stress révèle un problème d’organisation, pas de résilience personnelle.

Ce que la lucidité autorise

Reconnaître le stress comme miroir social ne signifie pas sombrer dans la victimisation.

Cela signifie :

  • Arrêter de culpabiliser ceux qui craquent sous des contraintes objectives.
  • Questionner les causes avant de proposer des solutions individuelles.
  • Exiger des changements structurels plutôt que de s’adapter indéfiniment.
  • Politiser le bien-être : votre épuisement n’est pas qu’un problème personnel, c’est aussi un enjeu collectif.

Le stress bien lu devient un outil de diagnostic social. Il révèle où le système dysfonctionne, où les inégalités se cristallisent, où les rapports de pouvoir s’exercent.

Actions concrètes : que faire à votre échelle

Diagnostiquer les causes systémiques ne dispense pas d’agir là où c’est possible. Voici ce que vous pouvez faire sans attendre la révolution organisationnelle :

  • Créer des micro-marges de manœuvre : négocier des plages sans notifications, refuser certaines réunions non-essentielles, délimiter physiquement les espaces travail/repos.
  • Documenter objectivement : tenir un journal des facteurs de stress pour distinguer ce qui relève de votre fonctionnement interne (ruminations, perfectionnisme) de ce qui relève de contraintes externes réelles.
  • Développer des alliances : identifier les collègues qui partagent vos constats, créer des micro-solidarités pour porter collectivement certaines revendications.
  • Pratiquer la désobéissance douce : respecter vos limites biologiques (pauses, horaires de déconnexion) même si la culture d’entreprise pousse au contraire.

Ces actions individuelles ne règlent pas les causes profondes, mais elles créent des espaces de respiration nécessaires pour agir sur le long terme.

Lire le miroir au lieu de le casser

Si vous traitez le stress comme un ennemi intime, vous l’attaquez à coups de techniques individuelles. Si vous l’abordez comme un miroir social, vous posez les vraies questions :

  • Qui profite de votre épuisement ?
  • Quels intérêts structurels maintiennent les causes de votre stress ?
  • Comment transformer les contraintes plutôt que de s’y adapter ?

Le stress, enfin lu comme signal social, redevient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un révélateur pour agir collectivement, pas un fardeau à porter seul.

La vraie question n’est pas « stress individuel OU causes systémiques« , mais comment agir simultanément sur les deux leviers :

  • Développer des capacités personnelles de résistance,
  • et transformer les environnements qui épuisent.

Le courage consiste à refuser l’alternative toxique entre  » répare-toi tout seul  » et  » attends que le système change « .

Important

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Peur de la mort : Quand une société « anti-mort » fabrique une angoisse existentielle

On ne soigne pas une civilisation avec du déni.

Prologue iconoclaste : des bouchons d’oreilles métaphysiques

Notre époque a inventé le silence hygiénique autour de la mort. On évacue, on aseptise, on externalise. La fin de vie devient alors un processus logistique géré par :

  • L’hôpital,
  • Les pompes funèbres,
  • L’assurance obsèques.

Du coup, la mort est statistiquement partout et nulle part culturellement. C’est précisément ce vide qui nourrit l’anxiété existentielle. Du coup, on s’emploie à combler les chaises vides.

Mort niée, angoisse démultipliée : ce que dit la recherche

De Becker à la Terror Management Theory (TMT)

Ernest Becker l’avait dit. Une grande part de la culture sert à tenir la terreur de la mort à distance. La TMT l’a confirmé expérimentalement. Rappeler la mortalité (mortality salience) rigidifie les identités et intensifie les défenses psychologiques.

Death literacy : l’ignorance comme carburant de la peur

Un Death Literacy Index international (PMC) montre que plus les individus comprennent les ressources disponibles, moins la peur les envahit. Mais la death literacy ne se limite pas à savoir ce qu’est un service funéraire.

Elle inclut des compétences pratiques :

  • Savoir où trouver une équipe palliative,
  • Comment rédiger des directives anticipées,
  • Comment organiser une cérémonie selon ses choix.

Idem pour les réseaux sociaux :

  • Connaître des associations,
  • des bénévoles,
  • des lieux de soutien.

Le tout associé à une capacité symbolique :

  • Réinventer des rituels,
  • Transmettre des histoires,
  • Partager un sens.

Dit autrement, la death literacy est l’équivalent d’une éducation civique de la mort.

Là où la DL est forte (Australie, Royaume-Uni), les citoyens affrontent mieux le deuil et utilisent mieux les ressources. Là où elle est faible, comme en France, la peur prospère sur l’ignorance.

Palliative care : entre soulagement et médicalisation

L’OMS défend les soins palliatifs comme amélioration de la qualité de vie, ce qui nécessite de rappeler un fait.

Beaucoup meurent encore dans la douleur, la solitude et l’improvisation médicale sans ces protocoles. Les soins palliatifs apportent un soulagement réel, en intégrant douleur physique, détresse psychologique et dimension spirituelle.

Mais le danger apparaît quand la fin de vie devient trop strictement protocole :

  • Checklists,
  • Guidelines,
  • Traçabilité.

Alors le symbolique et le relationnel s’effacent. La nuance est là. Les soins palliatifs sont nécessaires, mais pas suffisants. Ils doivent être pensés comme un espace relationnel, pas seulement comme une discipline médicale.

La ville sans cimetières

Imaginez une ville futuriste qui aurait relégué ses cimetières en périphérie lointaine, sans panneaux ni chemins. Dans la ville, on vit vite, on consomme propre, mais on meurt ailleurs.

Officiellement, la mort n’existe pas. Officieusement, chacun en rêve la nuit.

Conséquences psychosociales : du déni collectif au trouble individuel

Anxiété diffuse, quête de contrôle

La mort revient par la bande quand on la chasse du langage.

Isolement du deuil

Privés de cadres collectifs, les personnes endeuillées deviennent des clients potentiels pour les marchés du soutien psychologique et des assurances.

Inégalités devant la fin de vie

On meurt différemment selon sa classe sociale.

Ceux qui peuvent payer choisissent les conditions (soins palliatifs à domicile, funérailles personnalisées). Les autres meurent dans l’anonymat des institutions saturées.

Ce que notre époque cache (et facture) c’est l’économie du déni

L’assurance comme commerce de l’angoisse

En France, plus de 4 millions de contrats obsèques sont en cours pour un marché estimé à près de 2 milliards d’euros par an.

Le secteur pharmaceutique

Les traitements de dernière ligne, parfois inefficaces, rapportent des milliards.

Les pompes funèbres

Le marché funéraire français pèse environ 2,5 milliards d’euros par an.

Les technologies de mémoire

Facebook compte déjà des dizaines de millions de profils de morts, ce qui constitue une base de données funéraire gratuite pour le capitalisme numérique.

Comment les plateformes monétisent-elles les morts et, surtout, les vivants qui restent ?

1) Les comptes mémorialisés restent des points d’attention et d’interaction

La position officielle de Facebook dit qu’ils ne vendent pas vos données, mais monétisent l’attention et les interactions via la publicité ciblée.

Les comptes peuvent être mémorialisés (legacy contact, paramètres de tributes, etc.), mais l’écosystème (amis, proches, groupes, pages) continue d’être exposé à des interfaces publicitaires classiques.

Le business model repose donc sur l’activité des survivants, pas sur la revente directe des données des défunts.

2) Ciblage des endeuillés : direct, non, indirect, oui

Meta a retiré plusieurs catégories de ciblage sensibles au fil des années.

En théorie, le deuil n’est pas un segment publicitaire natif. En pratique, des ciblages indirects existent :

  • Annonces de services funéraires (intérêts, mots-clés),
  • Lookalike audiences construites à partir de visiteurs de sites de pompes funèbres (via pixels et trackers),
  • ou ciblage contextuel (requêtes autour des démarches post-décès).

Autrement dit, on cible des comportements et des proximités d’usages, pas un statut d’endeuillé déclaré.

Ainsi, lorsqu’un internaute clique sur une annonce, le site tiers peut embarquer ses propres traceurs et récolter des données (IP, device IDs), ce qui étend la chaîne de monétisation hors de Facebook.

3) Base de données funéraire : oui, mais surtout un capital d’archives et de trafic

Les projections de l’Oxford Internet Institute estiment que 1,4 à 4,9 milliards de comptes Facebook pourraient appartenir à des personnes décédées d’ici 2100 selon les scénarios.

Cela qui signifie des milliards de pages consultées, commentées, partagées par les vivants (hommages, anniversaires de décès, souvenirs, etc.).

C’est cette fréquentation qui alimente la monétisation, et non la vente des profils des morts.

4) Effets périphériques : escroqueries et captations opportunistes

La visibilité publique du deuil attire des fraudes (faux livestreams d’obsèques, redirections malveillantes, demandes de paiements d’urgence).

Ce n’est pas la monétisation de Meta, mais un effet externe de la médiation numérique du deuil lequel, de fait, renforce l’argument d’une vulnérabilité économique des endeuillés dans l’écosystème des plateformes.

5) Le cadre européen évolue et questionne le « consent ou paye« 

Le modèle qui consiste à payer pour retirer les pubs ou consentir au ciblage est discuté par les autorités européennes qui jugent le choix parfois trompeur ou déséquilibré pour l’utilisateur.

Cela ne vise pas spécifiquement les proches de personnes décédées mais montre que la logique publicitaire des plateformes, y compris autour de données sensibles, est sous tension réglementaire.

Facebook ne vend pas les données des morts. La plateforme monétise l’attention des vivants qui gravitent autour des profils, des hommages et des démarches liées au deuil.

Le ciblage se fait par comportements et proximités (visites de sites funéraires, requêtes, intérêts), et la collecte se prolonge souvent chez les tiers via des traceurs.

La valeur n’est pas le profil du défunt, mais la circulation sociale et l’émotion qu’il continue d’organiser.

Le death positive : alternative ou nouvelle injonction ?

Né aux États-Unis, le mouvement death positive voulait libérer la parole. Mais sa diffusion rapide a ouvert un nouveau marché :

  • Séminaires payants : ateliers de death coaching de 300 à 600 €.
  • Contenus sponsorisés : podcasts financés par des assureurs obsèques.
  • Produits dérivés : urnes design, formations privées de doula de la mort.

Ce qui devait libérer devient une norme implicite. Il faudrait bien mourir, positivement donc, sous peine de rester prisonnier du vieux tabou.

Le casque anti-bruit existentiel

Nous avons mis un casque anti-bruit existentiel à nos enfants. Ils n’entendent ni les récits de passage ni les chants funèbres. Seulement des notifications.

Quand on l’enlève, le bruit de la finitude est assourdissant.

Questions iconoclastes

  • Qui s’enrichit du déni de la mort ? Assureurs, laboratoires pharmas, pompes funèbres, plateformes numériques ?
  • En protocolisant la fin, les soins palliatifs n’ajoutent-ils pas une couche de médicalisation ?
  • Le mouvement death positive n’est-il pas devenu une nouvelle norme sociale ?
  • Pourquoi les inégalités sociales devant la mort restent-elles invisibles dans le débat public ?
  • À qui appartient la mort : à l’individu, à la famille, à l’État, ou au marché ?

Préparation ou courage ?

La société qui camoufle la mort produit de l’angoisse. Celle qui ose la regarder produit de la capacité. Mais rouvrir l’espace critique ne suffit pas.

Concrètement, cela signifie :

  • Multiplier les espaces de parole hors institutions médicales (cafés, bibliothèques, lieux culturels).
  • Introduire la death literacy dans la vie citoyenne (écoles, associations, communes).
  • Créer des contre-rituels non marchands (arbres de mémoire, récits collectifs, archives familiales).
  • Réclamer un droit au deuil digne (congés élargis, reconnaissance sociale de la perte).

Ici, l’iconoclasme est d’oser dire que la mort n’est pas une marchandise. C’est le miroir de nos liens et de nos structures de pouvoir.

Une société courageuse n’est pas celle qui embellit la mort, mais celle qui rend ses citoyens capables de l’habiter sans être captifs des assurances, de protocoles ou de slogans positifs.

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Questions fréquentes – FAQ’s

Comptes mémorialisés = attention et interactions monétisables

Facebook ne vend pas les données des morts. La plateforme monétise l’attention des vivants (amis, proches, groupes) via l’affichage publicitaire classique autour des hommages, anniversaires et souvenirs. La valeur réside dans les impressions, le temps passé, les commentaires, les et partages.

Ciblage des endeuillés : indirect plutôt que direct

Le deuil n’est pas un segment publicitaire natif, mais on peut toucher les proches par comportements et proximités : centres d’intérêt et mots-clés (funérailles, démarches post-décès), audiences similaires créées depuis des visiteurs de sites funéraires (pixels/serveur-side), ciblage contextuel autour des contenus consultés.

Une base de mémoire est un capital d’archives et de trafic

Les profils mémorialisés génèrent des pics récurrents d’activité (dates-anniversaires, souvenirs du jour), donc du trafic monétisable. La valeur vient de la circulation sociale des vivants, pas d’une revente des profils inactifs.

Chaîne de monétisation élargie (hors plateforme)

Dès qu’un proche clique sur une annonce, le site tiers peut capter ses données (cookies, pixels, IDs) et prolonger la monétisation (retargeting multi-plateformes, agrégation de segments funéraires).

Effets périphériques et risques

La visibilité donnée au deuil génère fraudes et captations opportunistes. Faux lives d’obsèques, pages d’hommages usurpées, demandes de dons douteuses, démarchages agressifs. Vulnérabilité émotionnelle égale plus grande sensibilité au nudge publicitaire.

Cadre et limites réglementaires (UE)

Le modèle « consentir au ciblage ou payer » est sous tension (catégories sensibles, transparence, droit d’opposition). L’évolution du cadre peut restreindre certains modes de monétisation autour de données sensibles.

À retenir

Facebook ne vend pas les données des morts. La plateforme monétise l’attention des vivants autour des profils, des hommages et des démarches liées au deuil. Le ciblage passe surtout par des questions de comportements, de contextes et de proximités, puis se prolonge chez des tiers via des traceurs.

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