Popularisée dans les années 1990, la justice restaurative repose sur une idée séduisante :
- Permettre au coupable et à la victime de dialoguer, de réparer le lien brisé, d’aller au-delà de la sanction pénale.
Derrière cette utopie relationnelle, l’objectif tient en une société réconciliée, apaisée, où le mal causé se dissout dans la parole et la réparation.
Mais la réalité est bien plus sombre.
Pour beaucoup de victimes, ce modèle n’est pas une délivrance : c’est une seconde peine. Au lieu de guérir, la confrontation au coupable ravive les blessures, accroît l’anxiété, et peut même plonger dans la dépression.
Justice restaurative : promesses et séductions
Un discours de réconciliation
La justice restaurative promet d’humaniser la justice.
Elle s’oppose au modèle punitif, jugé froid et impersonnel. Selon Howard Zehr, l’un de ses fondateurs, l’objectif est de « réparer le tissu social » en plaçant la victime au centre du processus.
La rhétorique politique et médiatique
En France, la loi du 15 août 2014 a introduit officiellement la justice restaurative, avec un enthousiasme relayé par la presse et certaines associations.
Le Conseil de l’Europe en fait aussi la promotion, vantant ses bienfaits pour « rétablir la paix sociale ».
Une séduction européenne
- Norvège : la justice restaurative est intégrée aux politiques pénales pour les mineurs.
- Royaume-Uni : programmes développés dans les prisons pour favoriser la réinsertion.
- Belgique : dialogue restauratif proposé dans certains cas de crimes graves.
Partout, on met en avant les taux de satisfaction des victimes mais rarement les dégâts collatéraux.
Le poids psychologique sur la victime
L’angoisse de la rencontre
Une victime contrainte ou incitée à rencontrer son agresseur vit une tension extrême :
- Peur de revivre le traumatisme,
- Crainte d’être manipulée,
- Sentiment de vulnérabilité accrue.
Une étude de l’Université de Sheffield (2016) a montré que 30 % des victimes engagées dans un processus restauratif avaient ressenti une recrudescence d’angoisse après la rencontre.
Le faux sentiment de réparation
On suppose que le coupable « réparera » son crime par des excuses, une compensation financière, un engagement social. Mais comment réparer un viol ? Un homicide ? Une humiliation répétée ? La réparation devient une illusion cruelle.
La métaphore du vase recollé
On dit souvent qu’une victime est comme un vase brisé.
La justice restaurative prétend recoller les morceaux. Mais la fissure demeure visible. La rencontre avec le coupable, censée effacer la douleur, ne fait parfois que souligner les cicatrices.
Quand la réparation devient culpabilisation
Le piège de la réconciliation forcée
La justice restaurative peut insinuer à la victime qu’elle doit « tourner la page », « pardonner », « passer à autre chose ». Déguisée en bienveillance, cette injonction se transforme en culpabilisation psychologique.
Le poids de la reconstruction est déplacé : il n’échoit plus au coupable, mais à la victime, sommée d’accepter la réconciliation.
L’anxiété comme héritage
Une étude de la London School of Economics (2018) a montré que certaines victimes ayant participé à des programmes de médiation présentaient un risque accru de symptômes post-traumatiques, liés au sentiment d’avoir été instrumentalisées par le système judiciaire.
La justice restaurative en France : un décalage entre théorie et réalité
La loi de 2014
Officiellement, la participation est « volontaire ». Mais, dans la pratique, de nombreuses victimes témoignent d’une pression subtile exercée par les magistrats ou les associations partenaires, qui valorisent le processus comme « moderne » et « réparateur ».
Le paradoxe des violences graves
Dans des affaires de violences sexuelles ou conjugales, proposer une rencontre restaurative frôle l’absurde. Comment imaginer qu’une victime puisse trouver une quelconque paix en s’asseyant face à son agresseur ?
Des associations féministes, notamment en Espagne et en France, ont dénoncé cette approche comme une seconde victimisation institutionnelle.
Comparaison européenne : entre pragmatisme et déni
Norvège : l’idéalisme scandinave
En Norvège, on valorise la réconciliation, même pour des crimes graves. Les résultats sont contradictoires : certains cas aboutissent à une diminution des récidives, mais d’autres montrent une aggravation des troubles psychiques chez les victimes (Rapport Nordic Restorative Justice, 2020).
Royaume-Uni : l’expérimentation carcérale
Dans les prisons britanniques, les coupables rencontrent les familles de victimes. Les partisans saluent des « histoires de pardon » émouvantes, largement médiatisées.
Mais les études universitaires montrent que près d’un tiers des familles sortent brisées par l’expérience (Sheffield University, 2016).
Belgique : un laboratoire fragile
En Belgique, le dialogue restauratif existe même après condamnation pour homicide.
Là encore, des psychologues belges (Université de Louvain, 2019) alertent sur les risques de dépression post-rencontre chez certaines victimes.
Les limites intrinsèques du modèle
La réparation impossible
Certains crimes ne se réparent pas. Le fantasme de la restauration totale est une violence symbolique faite aux victimes. C’est comme exiger d’un amputé de croire que sa jambe repoussera.
Le risque d’une justice spectacle
La justice restaurative est souvent mise en avant dans les médias : images de poignées de main, larmes de réconciliation. Mais derrière ces vitrines, des victimes s’effondrent, oubliées des caméras.
Une alternative ? La justice protectrice
Le besoin de reconnaissance, pas de confrontation
Les victimes réclament moins une réconciliation qu’une reconnaissance institutionnelle : être entendues, crues, soutenues.
La justice réparatrice peut se concevoir autrement : par un soutien psychologique, une compensation matérielle, une reconnaissance publique de la souffrance.
Mettre fin à la confusion
Confondre justice (sanctionner l’auteur) et thérapie (soigner la victime) est dangereux. Le tribunal n’est pas un cabinet de psychologue. L’institution doit protéger avant de réconcilier.
L’illusion restaurative
Sous ses airs humanistes, la justice restaurative peut se transformer en un instrument de violence psychique. Elle rejoue le crime dans un cadre institutionnel, forçant la victime à revivre ce qu’elle aurait voulu oublier.
La promesse de réparation se retourne en piège anxiogène, nourrissant la dépression et la culpabilité.
Dès lors, la justice restaurative ressemble à un chirurgien qui, pour montrer que la plaie cicatrise, décide de la rouvrir devant tout le monde.
Il espère prouver la guérison mais il ne fait que prolonger la souffrance.
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Resssources externes
1. Rapport critique majeur (2024)
« Pratiques et effets de la justice restaurative en France » – Sciences Po/CNRS
Constat : « La justice restaurative fonctionnant par individualisation, le lien social n’est pas particulièrement réparé » MoJ evaluation of restorative justice | Restorative Justice Council
Critique des violences de genre : « En matière de violences de genre, très présentes dans les pratiques… » MoJ evaluation of restorative justice | Restorative Justice Council
2. Éches concrets documentés
TGI de Lyon (2017-2018) – Cairn.info
Échec massif : « sur quinze dossiers sélectionnés… seuls deux ont débouché sur des rencontres directes » (PDF) Examining the Effectiveness of Restorative Justice in Reducing Victims’ Post-Traumatic Stress
Résistance des victimes : « les victimes s’étant montrées très réticentes » (PDF) Examining the Effectiveness of Restorative Justice in Reducing Victims’ Post-Traumatic Stress
3. Statistiques inuiètantes
Rapport Sciences Po 2024
50% des cas concernent des « violences sexuelles, violences conjugales »
– Rapport « Pratiques et effets de la justice restaurative en France », Sciences Po/CNRS, 2024 –
– Étude TGI de Lyon 2017-2018, Cairn.info, Revue Projet n°5, 2018 – « Justice ou injustice restaurative ? Les réponses de la recherche », Sciences Po, 2024