« Comment vous sentez-vous ? » est la pire question en thérapie, et voici pourquoi.

Sophie, 34 ans :

Trois ans de TAG (trouble anxieux généralisé). Chaque semaine, son psy ouvre la séance avec cette fameuse question : « Comment vous sentez-vous ? »

Elle décrit ses palpitations, elle pleure, elle analyse.

150 séances plus tard, les attaques de panique dans le métro sont toujours là.

Ce que son psy aurait dû lui demander : « Qu’est-ce que vous faites exactement juste avant que ça monte ? Où êtes-vous ? Qui est là ? »

Là est le tournant Palo Alto : on arrête d’interviewer l’émotion pour cartographier la mécanique. On passe du pourquoi je suis comme ça, au comment ça se déclenche et se maintient, afin d’identifier des gestes testables qui interrompent la boucle.

C’est comme si votre plafond fuit. Vous ne refaites pas l’histoire des orages depuis l’enfance. Vous suivez la goutte jusqu’au joint défectueux, puis vous le remplacez.

Pourquoi « Comment vous sentez-vous ? » entretient le problème

Cette question attire le regard vers l’intérieur et installe des normes implicites (« je dois me sentir autrement avant d’agir »).

Chez une personne anxieuxe, cela alimente la peur de la peur. Plus on scanne son corps, plus on trouve des signaux, et plus on confirme qu’il faut scanner.

À l’inverse, les approches recommandées (Palo Alto, stratégies d’exposition, cadres opératoires) apprennent à arrêter le scanner et à bouger malgré l’alarme.

Les lignes directrices britanniques NICE et françaises (HAS) placent des interventions structurées de type TCC en première intention pour l’anxiété/panique, et non l’introspection ouverte du ressenti.

Maintenant, voyons Sophie, vue de l’intérieur.

En entrant dans le métro, elle vérifie sa respiration, prend son pouls, se demande si elle va tenir. Plus elle vérifie, plus la tension monte. Quand elle raconte comment elle se sent, elle répète la boucle de surveillance qui, sur le terrain, déclenche sa crise.

Les 3 effets pervers (qui se nourrissent les uns les autres)

1) Hyper-focus corporel

Regarder comment on se sent = entretenir l’alarme.

Résultat : chaque micro-sensation devient un indice de danger (« ça cogne, je vais m’évanouir »). Les modèles efficaces apprennent au contraire l’exposition (y compris interoceptive, c’est-à-dire aux sensations elles-mêmes) pour désensibiliser le système d’alarme.

Au cabinet, on débriefe les palpitations de Sophie. Dans le métro, elle les traque, et le symptôme prospère.

2) Norme émotionnelle irréaliste

On suggère qu’il faut se sentir bien pour vivre (travailler, prendre le métro, dîner chez des amis). Or les guides de pratique cliniques orientent vers des tâches (expositions graduées, changements de conduite, réentrainement attentionnel). Le ressenti suit l’action, pas l’inverse.

C’est là que Sophie dit : « Je reprendrai le métro quand je n’aurai plus peur ».

Deux années passent.

3) Narration sans plan

On peut parler des causes pendant des mois sans toucher au maintien du problème.

L’école de Palo Alto l’a montré : les tentatives de solution (éviter, rassurer, contrôler, vérifier, etc.) nourrissent souvent la difficulté. Le levier, consiste à interrompre ces boucles concrètement, pas à revisiter ou à reformuler le passé.

Sophie a identifié l’origine possible (une frayeur à 12 ans), mais son trouble panique d’aujourd’hui est rejoué par les vérifications et l’évitement.

Mauvaises vs. bonnes questions (et ce qu’elles changent pour Sophie)

Les mauvaises questions (classiques, floues)

  • « Parlez-moi de votre enfance »
  • « Qu’est-ce que vous ressentez, là ? »
  • « Pourquoi pensez-vous être comme ça ? »

Problème : elles ouvrent la discussion mais n’orientent aucune action. Chez Sophie, elles renforcent l’auto-surveillance et l’attente d’un jour sans peur.

Les bonnes questions (opératoires, Palo Alto)

  • « Que faites-vous exactement dans la minute qui précède le pic ? »
  • « Où, quand, avec qui ça bascule ? »
  • « Qu’avez-vous déjà essayé (fréquence, durée, effet) ? »
  • « Quand c’est moins pire, qu’est-ce qui diffère dans vos actes ? »
  • « Si on voulait empirer volontairement pendant 10 minutes, comment feriez-vous ? »

Sophie, même scène, autres questions.

  • « Dans l’escalator, je cherche mon pouls et ma respiration ».
  • « À 8h30, seule. Je vérifie trois fois la porte, je regarde l’appli « Battements » ».
  • « J’ai essayé de respirer profondément (beaucoup), d’écouter un podcast calme. Ça tient 5 minutes ».

Ces réponses dessinent un protocole :

la crise n’est pas mystérieuse, elle est fabriquée par une suite de micro-gestes (vérifier, se rassurer, renforcer l’alarme).

FAQ express (juste maintenant, avant que ça coince)

  • « Ignorer mes émotions ? »

Non. En revanche, on arrête de les interviewer en boucle. On les obser­ve sans lutte, puis on agit petit. C’est l’esprit des expositions/TCC : l’affect s’ajuste quand le comportement change.

  • « Mais parler de l’enfance m’a aidé·e »

Parler peut soutenir. Ici, on cible le maintien actuel. Si la narration n’allège pas la fréquence – le pic des épisodes -, on change de focale.

  • « C’est froid, trop technique »

C’est précis, et la précision, c’est du respect. Une séance est un prototype d’action.

Le cadre Palo Alto : cartographier, contextualiser, interrompre

1) Cartographier les tentatives de solution

Inventaire quantifié de tout ce qui est fait pour éviter/contrôler : vérifier, respirer comme il faut, se distraire, s’éloigner, demander qu’on accompagne…

On mesure quand, combien, combien de temps, avec quel effet. Presque toujours, la stratégie la plus utilisée nourrit le problème (ex. hyper-contrôle respiratoire qui produit la sensation d’étouffer).

Au suejt de Sophie, on compte :

  • 3 vérifications porte,
  • Appli cardio ouverte 2×,
  • Respiration profonde > 5 minutes dans l’escalator.

Effet : pic plus précoce et plus haut.

2) Contextualiser (pas fouiller le passé)

  • Qui est présent ?
  • Où ?
  • À quelle heure ?
  • Qu’est-ce qui se passe juste avant ?
  • Quelles exceptions (trajets qui passent mieux) ?

Cette logique est alignée avec les recos NICE/HAS qui privilégient les interventions structurées pour l’anxiété/panique.

Exception notée au sujet de Sophie : le dimanche 11h, métro tranquille → moins de vérifications → moins de pic.

3) Interrompre les boucles (prototypes d’une semaine)

Prescription du symptôme (10 minutes d’angoisse volontaire à 20h30, assise, minuterie). On retire l’effet de surprise et on dédramatise l’alarme. C’est de l’approche stratégique : interrompre les processus ironiques qui auto-entretiennent le trouble.

Restriction des vérifications (porte, appli, respiration) : 1 seule vérification ritualisée, chronométrée (90 s), puis interdite.

Exposition interoceptive (induire en sécurité les sensations cibles – souffle court, cœur qui bat – pour déconditionner la peur de la peur). Efficace en trouble panique et anxiété : c’est un pilier de la thérapie comportementale.

Exposition situationnelle graduée (métro 1 station → 2 → 3, sans rituels), avec mesures (détresse 0–10, durée du pic, nombre de vérifications).

Sophie (Semaine 1)

  • 10 min de rendez-vous avec l’angoisse tous les soirs.
  • Porte : 1 vérification à 8h12 (90 s) puis stop.
  • Escalator : respiration normale (non profonde), mains sur la barre (pas sur la poitrine), appli cardio interdite.
  • Métro : 1 station à l’aller. Noter pointe max et retour au calme.

Résultat attendu : moins de rituels → moins d’alarme fabriquée → pic plus bas/plus court.

Imaginez que vous êtes coincé·e au milieu d’un rond-point.

Discuter du pourquoi on y est entré ne vous sort pas. Regarder où sont les sorties (situations), comment vous tournez le volant (tentatives de solution), puis mettre le clignotant (prototypes d’action). Voilà ce qui vous fait quitter la boucle.

Checklist pratique (à coller en fin de séance)

  • Ouvrir en 90 secondes : « Qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui ? Racontez la scène 60 s avant »
  • Lister les tentatives de solution + leur fréquence/durée/effet.
  • Choisir 1 à 2 interruptions mesurables (restriction, exposition interoceptive/situationnelle, prescription du symptôme).
  • Planifier (quand, où, combien de temps ; critères de réussite).
  • Débrief chiffré la semaine suivante (pas « j’ai l’impression que ». Données : nb. de vérifs, durée du pic, score 0–10).

Sophie (Semaine 2–3)

On passe à 2 stations → 3 stations. On garde les interdictions de rituels. Si rechute, on resserre : une seule vérification, minuterie stricte, exposition plus brève mais quotidienne.

Les données (condensé pour aller droit au but)

Recommandations de référence

Pour TAG/panique, NICE CG113 et HAS recommandent des interventions structurées (TCC, exposition, relaxation appliquée) en première intention. Ce sont des approches orientées tâches, compatibles avec notre logique Palo Alto centrée processus et interruption.

Efficacité comparée

  • La méta-analyse Tolin 2010 rapporte une supériorité moyenne de la TCC vs thérapie psychodynamique (post-traitement et suivi).
  • Hofmann 2012 (revue des méta-analyses) confirme un socle de preuves robuste pour la TCC, notamment pour les troubles anxieux.
  • Cuijpers 2023 (409 essais, 52 702 patients) consolide l’efficacité globale de la TCC vs contrôles et d’autres conditions.
  • Palo Alto : la stratégie n’est pas de parler mieux, c’est interrompre les processus ironiques, quand les tentatives de solution maintiennent le problème. Cadre théorique et clinique décrit par Rohrbaugh et collègues.

Expositions interoceptives

Des essais montrent l’intérêt d’induire volontairement les sensations redoutées (ex. vertige, souffle court) pour désensibiliser la peur de la peur.

Ce que Sophie aurait gagné et ce que vous aussi pouvez gagner :

  • En 4 semaines, elle aurait su identifier les 3 gestes qui fabriquent sa panique (vérifier – hyper-respirer – mesurer), et les réduire.
  • En 6–8 semaines, avec des expositions graduées sans rituels, elle aurait repris le métro sur des trajets ordinaires.

Chez elle, la question quotidienne ne serait plus « comment tu te sens ? » mais « quelle micro-expérience tu tentes aujourd’hui ? »

Conclusion

« Comment vous sentez-vous ? » est une quasi question météo.

Elle décrit le ciel, ne dit rien des vannes qui s’ouvrent en sous-sol. Les questions Palo Alto vont sous la chaussée. Elles trouvent le robinet et apprennent au patient à le tourner, aujourd’hui, dans sa vraie vie.

Dans un prochain article, le process exact de contextualisation vous sera présenté.

Références utiles

  • NICE CG113 – Generalised anxiety disorder and panic disorder in adults: management (guideline + PDF)
    Institut NICE :
    Page de la recommandation
    PDF officiel
  • HAS – Troubles anxieux de l’adulte : repères de prise en charge (guide clinicien)
    HAS Santé :
    PDF officiel
  • Rohrbaugh MJ – Brief Therapy Based on Interrupting Ironic Processes (cadre Palo Alto)
    PubMed
    Texte intégral (PMC)
  • Tolin DF – Is cognitive-behavioral therapy more effective than other therapies? (méta-analyse comparative)
    PubMed
    NCBI Bookshelf (synthèse)
  • Hofmann SG – The Efficacy of Cognitive Behavioral Therapy: A Review of Meta-Analyses (synthèse)
    Texte intégral (PMC)
  • Cuijpers P – Cognitive behavior therapy vs. control conditions & other therapies (méta-analyse, 409 essais)
    PubMed
    Texte intégral (PMC)
  • Deacon BJ – Maximizing the efficacy of interoceptive exposure by optimizing inhibitory learning (ECR, panique)
    PubMed

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