Le selfie pourrait avoir l’air d’une plaisanterie : un bras tendu, un sourire, un filtre, et voilà. Sauf qu’à force de se regarder pour être regardé, on a transformé l’estime de soi en marché boursier du like.

Résultat : l’angoisse monte (imperfection, manque de reconnaissance, quête d’approbation), les relations se négocient à coups d’algorithmes, et l’amour de soi comme de l’autre se mesure à la dopamine d’une notification.

Ce n’est pas une opinion puisque la littérature scientifique l’observe. L’exposition et la comparaison sociale sur les plateformes visuelles (Instagram en tête) sont associées à une insatisfaction corporelle, une baisse d’estime de soi et davantage d’anxiété.

Le selfie, c’est la galerie des glaces. Plus vous multipliez les miroirs (stories, filtres, retouches), plus vous perdez le visage. Vous croyez polir votre reflet mais vous ne faites que déménager votre angoisse sur l’écran suivant.

Selfie, retouche et angoisse d’apparence : quand se montrer rime avec se juger

Lecture rapide | Sommaire

Les études relient la prise de selfies et la retouche à la diminution de l’estime de soi et à l’anxiété d’apparence (social appearance anxiety). Pourquoi ? Parce que le selfie vous place dans le rôle de l’objet : vous devenez l’image que vous montrez (self-objectification).

Chaque photo appelle une métrique. Chaque métrique appelle un verdict. Les modèles théoriques et empiriques récents confirment ce mécanisme.

Plus l’auto-objectification et la comparaison ascendante (se comparer vers le haut) augmentent, plus l’insatisfaction augmente.

Instagram : amplifier le projecteur

Ajoutez l’usage intensif d’Instagram – plateforme visuelle par nature -, et l’effet s’amplifie :

  • Moindre appréciation de son corps,
  • Auto-comparaison systématique,
  • Baisse de l’estime de soi.

On ne regarde plus des photos. On récite à son cerveau un catéchisme : « pas assez mince, pas assez lisse, pas assez validé ».

Quand la quête d’approbation devient rituel anxieux

Le besoin de reconnaissance n’est pas nouveau. La gamification l’a industrialisé.

Les likes et commentaires fonctionnent comme renforçateurs intermittents : parfois beaucoup, souvent peu, exactement la cadence qui accroche le comportement et aggrave l’angoisse de l’attente.

Les méta-analyses et revues montrent un tableau convergent :

  • Plus d’exposition aux normes idéales,
  • Plus de comparaison,
  • Plus d’atteinte au bien-être (image corporelle, satisfaction de vie, santé mentale).

Autre conséquence : l’amour de soi devient dépendant d’une audience anonyme. L’amour de l’autre se négocie sur la scène publique (preuve par la photo, story confirmant le couple, soft surveillance du partenaire).

À la clé : jalousie algorithmique et contrôle (scroller, vérifier, commenter ou non).

C’est une économie attentionnelle qui déplace l’intimité vers le spectacle.

Selfie et assiette : le foodstagram comme vitrine identitaire

Question cash : qu’est-ce qu’on en a à foutre de ce qu’il y a dans ton assiette ? A priori : rien.

Et pourtant, des millions de photos de nourriture saturent nos flux. Pourquoi ? Les recherches identifient des motivations constantes :

  • Signalement identitaire et statut (endroits « recommandables », healthy vs. gourmand),
  • Appartenance tribale (végane, keto, terroir, coffee geeks),
  • Engagement social (obtenir réactions, appartenir à une communauté),
  • Continuité d’usage (plus on poste, plus on poste).

Le camera eat first installe un rituel : tant que la photo n’est pas prise (et validée), le repas n’existe pas. On mange pour la caméra, ou l’appareil photo.

La conséquence psychologique n’est pas neutre. On déplace le plaisir sensoriel vers le plaisir symbolique (l’image), et la valeur de l’instant vers la preuve sociale (le like).

À long terme, cela renforce :

  • La comparaison (« leur brunch est plus esthétique que le mien),
  • L’anxiété normative (manger propre, beau, et instagrammable),
  • La culpabilité (aliment coupable photographié correspond  jugement anticipé).

Les travaux sur la nourriture partagée en ligne confirment cette mécanique d’engagement et de renforcement du comportement de partage avec les mêmes leviers d’approbation que le selfie classique.

C’est le buffet des apparences.

Chacun se sert, non pour se nourrir, mais pour montrer son assiette. Le goût est accessoire. L’important, c’est d’être vu.e entrain de s’alimenter.

« Mais c’est fun ! » – Oui, et alors ?

L’argument « c’est juste pour rire » ne protège pas des effets cumulés.

Les journaux de bord numériques montrent que le type de contenu consommé (thin-ideal, fitness, lifestyle) déclenche des émotions spécifiques et peut fragiliser l’image de soi, surtout chez les jeunes.

Le problème n’est pas un post. Le problème, c’est la diète attentionnelle quotidienne.

Les institutions françaises (CNIL, EducNum) rappellent en outre que les plus jeunes se socialisent dans ces environnements de métriques et d’exposition publique, avec des enjeux de vie privée, de normes sociales précoces et de pression de conformité.

Autrement dit : on apprend très tôt que exister équivaut à publier, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’anxiété de reconnaissance.

Les conséquences psycho-sociales (au-delà de la simple « gêne »)

1) Anxiété d’apparence et insatisfaction corporelle

  • Corrélations robustes entre utilisation d’Instagram,
  • Exposition aux images idéales,
  • Baisse d’appréciation corporelle et hausse de l’anxiété.

Chez certaines populations, l’effet passe par la comparaison et l’auto-objectification.

2) Relation aux autres : théâtralisation et jalousie

Quand tout devient preuve publique, la relation se spectacularise. Qui commente quoi, à quelle heure, avec quel emoji. Moins d’échanges profonds, plus de comptabilité relationnelle.

3) Temps et attention : le coût invisible

Chaque post appelle vérification (combien de likes, qui a vu, faut-il reposter ?). La boucle « publier → attendre → vérifier » colonise des heures et entretient l’inquiétude (FOMO, peur de manquer la réaction).

4) Alimentation : contrôle esthétique plutôt que sensoriel

Le foodstagram correspond à des normes esthétiques appliquées à la nourriture :

  • Clean eating,
  • Plating parfait,
  • Cafés photogéniques.

On troque la satiété contre la réputation, la convivialité contre la performance.

« Et on fait quoi ? » – Un protocole iconoclaste (et praticable)

1) Désenvoûtement : vider l’aquarium à miroirs

Désactiver la prévisualisation permanente (retouche auto, filtres par défaut).

Limiter les photos de visage pendant 2 semaines. Basculer vers photos de perspective (paysage, lecture, traces d’action) qui désobjectifient le corps.

2) Rituel anti-comparaison (7 jours, renouvelable)

  • Règle 1 : 24 h sans se regarder en mode selfie (caméra frontale interdite).
  • Règle 2 : pas de scroll sur comptes corps/fit/esthétique.
  • Règle 3 : pour chaque envie de poster, écrire en notes pourquoi je veux le faire (statut, tribu, validation ?). On poste seulement si la raison ne relève pas de l’approbation.

3) Rééduquer le plaisir (surtout à table)

Camera eat last : on mange d’abord trois bouchées en silence. Si l’envie de photo persiste, on photographie une trace (miettes, serviette griffonnée) plutôt que l’assiette parfaite.

Dîner sans métrique : 2 repas/semaine sans téléphone à portée de main.

Cuisiner moche : une fois par semaine, assiette non instagrammable assumée. On note le souvenir gustatif, pas l’image.

4) Soin de la relation (amour de soi / amour de l’autre)

  • Validation hors ligne : dire à une personne précise ce qu’on aurait voulu lire en commentaire.
  • Règle du couple : les preuves d’amour ne passent pas par les stories. On définit ensemble un périmètre privé (ce qui ne sera jamais publié).

5) Hygiène d’algo

Se désabonner massivement des comptes qui provoquent comparaison et, partant, culpabilité.

Suivre 20 comptes « body neutrality / art / savoir-faire ». Remplir le flux de traces d’action plutôt que de corps évaluables. Certaines études suggèrent que le type de contenu consommé module les effets.

Alors, autant soigner la diète.

Objections fréquentes (réponses rapides)

« Mais les réseaux, c’est aussi positif ! »

Oui : soutien, créativité, communautés.

Le problème n’est pas l’outil, c’est la mécanique des plateformes centrées image + comparaison + métriques publiques. Les revues et méta-analyses montrent que l’exposition répétée aux idéaux visuels diminue l’appréciation de soi.

Ajustez le régime attentionnel, pas besoin d’ascétisme.

« Je poste mes repas pour inspirer ! »

Très bien. Mais demandez-vous : « quelle inspiration ?« . Si votre fil déclenche culpabilité et auto-contrôle chez vous (ou chez vos abonnés), l’inspiration a basculé en norme anxiogène.

Les recherches sur le foodstagram montrent un fort ancrage identitaire et statutaire. Ce n’est donc pas neutre.

« Les jeunes s’y feront, c’est leur monde »

C’est précisément le problème.

Les études de la CNIL soulignent que les adolescents intègrent très tôt l’exposition comme norme sociale, avec des enjeux de vie privée et de pression de conformité.

Laisser faire n’est pas neutre.

Narcissisme exacerbé : miroir ou puits sans fond ?

Le selfie n’est pas seulement un outil d’expression.

Il alimente ce que des cliniciens décrivent comme un narcissisme vulnérable : une dépendance accrue à l’approbation externe, sous couvert d’amour de soi .

Plus on multiplie les auto-portraits, plus on devient esclave du regard des autres.

Cela devient un puits sans fond. Le narcissisme digital, c’est comme verser de l’eau dans un puits sans fond. Chaque like apaise une seconde, mais ne comble jamais la fissure.

Conséquences directes :

  • Renforcement de l’angoisse (chaque publication devient un test d’amour propre).
  • Relations plus superficielles (on partage une image au lieu d’un vécu).
  • Auto-réduction : le « je » devient une marque à gérer, pas une personne à habiter.

Des travaux internationaux décrivent des corrélations entre usage intensif du selfie, traits narcissiques (grandioses et vulnérables) et faible régulation émotionnelle.

Le mécanisme est circulaire :

  • Plus je publie,
  • Plus je dépends.
  • Plus je dépends,
  • Plus je fragilise l’ego que je crois renforcer.

Équilibre générationnel : fractures et résistances

Il existe des différences d’usage selon les âges.

Les digital immigrants (nés avant l’ère réseaux) utilisent davantage l’image comme preuve sociale (paraître à la page).

Les digital natives, eux, subissent la pression mais inventent aussi des résistances :

  • Auto-dérision,
  • Filtres volontairement absurdes,
  • Finstas (comptes privés),
  • et codes de désamorçage du jugement.

Nuance essentielle : il n’y a pas qu’un narcissisme exacerbé.

Il existe aussi des pratiques subversives qui visent à déjouer la norme de l’exposition. Les travaux sur l’adolescence numérique décrivent ce double mouvement : vulnérabilité à la comparaison et capacité à inventer des contre-usages (voir CNIL/LINC, Mission Société Numérique).

Reprendre la main (et sa fourchette)

Selfies ou assiettes, la même logique domine : se prouver soi-même en se montrant aux autres.

À petite dose, c’est ludique. À grande dose, c’est une machine à angoisse. Le remède n’est pas moral, il est stratégique :

  • Débrancher la métrique,
  • Désamorcer la comparaison,
  • Réhabiter le corps par l’action,
  • Relocaliser l’intime,
  • et redécouvrir ce plaisir simple : être sans devoir paraître.

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Questions fréquentes – FAQ’s

La culture du selfie peut-elle augmenter l’anxiété et l’insatisfaction corporelle ?

Oui. L’exposition à des images idéales et la comparaison sociale – fréquente sur les plateformes très visuelles – sont associées à plus d’anxiété d’apparence et à une baisse de l’estime de soi. Le cycle photo → likes → attente renforce l’attention au jugement d’autrui.

Pourquoi certaines personnes postent-elles tout le temps des selfies ?

Les motivations sont variées : besoin d’approbation, expression identitaire, appartenance à un groupe, recherche d’opportunités sociales ou professionnelles. Les métriques (likes, commentaires) agissent comme un renforcement intermittent, ce qui encourage la répétition du comportement.

Quelle est la différence entre estime de soi et narcissisme sur les réseaux sociaux ?

L’estime de soi saine repose sur une valeur personnelle interne. Le narcissisme exacerbe la dépendance au regard d’autrui : l’image devient centrale, l’approbation externe sert de régulateur émotionnel. Les selfies peuvent nourrir ce mécanisme quand la validation remplace l’auto-évaluation.

Le selfie alimentaire (foodstagram) a-t-il un impact sur la relation à la nourriture ?

Il peut déplacer le plaisir du sensoriel vers l’image : on cuisine et on présente pour la caméra. Cela renforce la comparaison, les normes esthétiques (assiette parfaite), et parfois la culpabilité. L’acte de manger devient performance sociale au détriment de la convivialité.

Comment réduire l’angoisse liée aux selfies et aux likes ?

Fixez des limites (fenêtres d’usage), supprimez les notifications, remplacez les selfies par des photos non centrées sur le corps, pratiquez une semaine sans comparaison (pas de comptes « apparence »), et redirigez l’attention vers des actions hors ligne (sport, création, rencontres).

Les adolescents sont-ils plus vulnérables à l’impact des selfies ?

Ils y sont exposés très tôt, avec une sensibilité accrue à la comparaison et à l’approbation sociale. Mais beaucoup développent aussi des stratégies de résistance (finstas, humour, codes anti-perfection) pour déjouer la pression de l’image.

Poster des selfies est-il un trouble ou une addiction ?

Ce n’est pas un diagnostic en soi. Le problème survient quand l’usage devient compulsif, que l’humeur dépend des réactions et que d’autres domaines (sommeil, travail, relations) se dégradent. Un accompagnement comportemental peut aider à reprendre le contrôle.

Pourquoi les selfies peuvent-ils dégrader la relation de couple ?

La publicisation de l’intimité déplace l’attention vers les preuves sociales (stories, tags), nourrit la jalousie et la surveillance mutuelle, et réduit les échanges profonds au profit de la mise en scène.

Comment gérer les selfies à table sans casser la convivialité ?

Adoptez la règle « camera eat last » (on mange d’abord), fixez deux repas par semaine sans téléphone, et préférez des photos de « traces » (gestes, ambiances) plutôt qu’une assiette « parfaite ». Le but est de recentrer sur le goût et la relation.

Que faire si l’autoportrait influence trop mon humeur au quotidien ?

Planifiez une pause d’une semaine sans selfies, désactivez temporairement les notifications, tenez un journal des envies de poster et de leurs raisons, et parlez-en à un professionnel si la détresse persiste (thérapies brèves/TCC efficaces sur la comparaison et les habitudes numériques).

Existe-t-il des façons saines d’utiliser les selfies ?

Oui : usage ponctuel, intentions claires (souvenir, partage avec proches), absence de retouche « correctrice » systématique, pas de comptage de likes, et pas d’évaluation de soi à partir des réactions. Le selfie ne doit pas devenir votre baromètre d’humeur.

Faut-il supprimer Instagram pour aller mieux ?

Pas nécessairement. Il s’agit plutôt d’ajuster le « régime attentionnel » : s’abonner à des contenus non centrés sur l’apparence, limiter les durées, couper les notifications, et privilégier la production d’actions réelles sur la mise en scène de soi.

Références

Image de soi, anxiété, comparaison sociale

  • Revranche M. (2022) – Lien entre usage des réseaux sociaux et image corporelle chez les adolescents. Revue systématique (Annales Médico-Psychologiques, Elsevier Masson). Revue en français sur l’usage des réseaux vs. image corporelle.
  • Le Monde – “Instagram peut avoir des effets néfastes sur les adolescents” (2021) – Synthèse en français des documents internes de Facebook sur l’impact d’Instagram (image et santé mentale des jeunes).
  • Santé publique France (2023) – Santé mentale des jeunes : Données récentes sur la santé mentale des 18-24 ans en France (perception, vulnérabilités).

Jeunes, exposition et protection / cadre FR

  • CNIL – Enfants & ados : réseaux sociaux, vie privée – Fiches pratiques, droits, recommandations, risques autour des images et de 
  • CNIL – Partage de photos d’enfants : risques et bonnes pratiques – Mise en garde et conseils concrets (sharenting, diffusion publique).
  • Vie-publique (2024) – Loi du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants (cadre légal français, réseaux sociaux inclus).
  • Gouv. Jeunesse (majorité numérique à 15 ans) – Repères officiels sur la protection des mineurs en ligne.

Foodstagram / culture du selfie alimentaire

  • Le Monde (2017) – Instagram a-t-il changé notre manière de manger ? Article en français sur la dimension “vititrine” et les choix alimentaires photogéniques.
  • Digimind (2018, chiffres FR) – La food sur les réseaux en 30 chiffres (partage de photos de plats chez les 18-35, motivation sociale).
  • AddictAide (2023) – Impact des réseaux sociaux sur les préoccupations corporelles et TCA (vulgarisation FR avec focus filtres/idéaux).

Regards sociétaux / tendances FR

  • INJEP (2024) – Le rapport des jeunes aux informations (poids des réseaux comme source principale chez les 15-30 ans).
  • CNIL/LINC (ressources mineurs & recommandations) – Série de recommandations et analyses FR sur pratiques numériques des mineurs.

Autres références