On ne soigne pas une civilisation avec du déni.
Prologue iconoclaste : des bouchons d’oreilles métaphysiques
Notre époque a inventé le silence hygiénique autour de la mort. On évacue, on aseptise, on externalise. La fin de vie devient alors un processus logistique géré par :
- L’hôpital,
- Les pompes funèbres,
- L’assurance obsèques.
Du coup, la mort est statistiquement partout et nulle part culturellement. C’est précisément ce vide qui nourrit l’anxiété existentielle. Du coup, on s’emploie à combler les chaises vides.
Mort niée, angoisse démultipliée : ce que dit la recherche
De Becker à la Terror Management Theory (TMT)
Ernest Becker l’avait dit. Une grande part de la culture sert à tenir la terreur de la mort à distance. La TMT l’a confirmé expérimentalement. Rappeler la mortalité (mortality salience) rigidifie les identités et intensifie les défenses psychologiques.
Death literacy : l’ignorance comme carburant de la peur
Un Death Literacy Index international (PMC) montre que plus les individus comprennent les ressources disponibles, moins la peur les envahit. Mais la death literacy ne se limite pas à savoir ce qu’est un service funéraire.
Elle inclut des compétences pratiques :
- Savoir où trouver une équipe palliative,
- Comment rédiger des directives anticipées,
- Comment organiser une cérémonie selon ses choix.
Idem pour les réseaux sociaux :
- Connaître des associations,
- des bénévoles,
- des lieux de soutien.
Le tout associé à une capacité symbolique :
- Réinventer des rituels,
- Transmettre des histoires,
- Partager un sens.
Dit autrement, la death literacy est l’équivalent d’une éducation civique de la mort.
Là où la DL est forte (Australie, Royaume-Uni), les citoyens affrontent mieux le deuil et utilisent mieux les ressources. Là où elle est faible, comme en France, la peur prospère sur l’ignorance.
Palliative care : entre soulagement et médicalisation
L’OMS défend les soins palliatifs comme amélioration de la qualité de vie, ce qui nécessite de rappeler un fait.
Beaucoup meurent encore dans la douleur, la solitude et l’improvisation médicale sans ces protocoles. Les soins palliatifs apportent un soulagement réel, en intégrant douleur physique, détresse psychologique et dimension spirituelle.
Mais le danger apparaît quand la fin de vie devient trop strictement protocole :
- Checklists,
- Guidelines,
- Traçabilité.
Alors le symbolique et le relationnel s’effacent. La nuance est là. Les soins palliatifs sont nécessaires, mais pas suffisants. Ils doivent être pensés comme un espace relationnel, pas seulement comme une discipline médicale.
La ville sans cimetières
Imaginez une ville futuriste qui aurait relégué ses cimetières en périphérie lointaine, sans panneaux ni chemins. Dans la ville, on vit vite, on consomme propre, mais on meurt ailleurs.
Officiellement, la mort n’existe pas. Officieusement, chacun en rêve la nuit.
Conséquences psychosociales : du déni collectif au trouble individuel
Anxiété diffuse, quête de contrôle
- Hypervigilance santé,
- Peur de l’hôpital,
- Rituels d’auto-contrôle.
La mort revient par la bande quand on la chasse du langage.
Isolement du deuil
Privés de cadres collectifs, les personnes endeuillées deviennent des clients potentiels pour les marchés du soutien psychologique et des assurances.
Inégalités devant la fin de vie
On meurt différemment selon sa classe sociale.
Ceux qui peuvent payer choisissent les conditions (soins palliatifs à domicile, funérailles personnalisées). Les autres meurent dans l’anonymat des institutions saturées.
Ce que notre époque cache (et facture) c’est l’économie du déni
L’assurance comme commerce de l’angoisse
En France, plus de 4 millions de contrats obsèques sont en cours pour un marché estimé à près de 2 milliards d’euros par an.
Le secteur pharmaceutique
Les traitements de dernière ligne, parfois inefficaces, rapportent des milliards.
Les pompes funèbres
Le marché funéraire français pèse environ 2,5 milliards d’euros par an.
Les technologies de mémoire
Facebook compte déjà des dizaines de millions de profils de morts, ce qui constitue une base de données funéraire gratuite pour le capitalisme numérique.
Comment les plateformes monétisent-elles les morts et, surtout, les vivants qui restent ?
1) Les comptes mémorialisés restent des points d’attention et d’interaction
La position officielle de Facebook dit qu’ils ne vendent pas vos données, mais monétisent l’attention et les interactions via la publicité ciblée.
Les comptes peuvent être mémorialisés (legacy contact, paramètres de tributes, etc.), mais l’écosystème (amis, proches, groupes, pages) continue d’être exposé à des interfaces publicitaires classiques.
Le business model repose donc sur l’activité des survivants, pas sur la revente directe des données des défunts.
2) Ciblage des endeuillés : direct, non, indirect, oui
Meta a retiré plusieurs catégories de ciblage sensibles au fil des années.
En théorie, le deuil n’est pas un segment publicitaire natif. En pratique, des ciblages indirects existent :
- Annonces de services funéraires (intérêts, mots-clés),
- Lookalike audiences construites à partir de visiteurs de sites de pompes funèbres (via pixels et trackers),
- ou ciblage contextuel (requêtes autour des démarches post-décès).
Autrement dit, on cible des comportements et des proximités d’usages, pas un statut d’endeuillé déclaré.
Ainsi, lorsqu’un internaute clique sur une annonce, le site tiers peut embarquer ses propres traceurs et récolter des données (IP, device IDs), ce qui étend la chaîne de monétisation hors de Facebook.
3) Base de données funéraire : oui, mais surtout un capital d’archives et de trafic
Les projections de l’Oxford Internet Institute estiment que 1,4 à 4,9 milliards de comptes Facebook pourraient appartenir à des personnes décédées d’ici 2100 selon les scénarios.
Cela qui signifie des milliards de pages consultées, commentées, partagées par les vivants (hommages, anniversaires de décès, souvenirs, etc.).
C’est cette fréquentation qui alimente la monétisation, et non la vente des profils des morts.
4) Effets périphériques : escroqueries et captations opportunistes
La visibilité publique du deuil attire des fraudes (faux livestreams d’obsèques, redirections malveillantes, demandes de paiements d’urgence).
Ce n’est pas la monétisation de Meta, mais un effet externe de la médiation numérique du deuil lequel, de fait, renforce l’argument d’une vulnérabilité économique des endeuillés dans l’écosystème des plateformes.
5) Le cadre européen évolue et questionne le « consent ou paye«
Le modèle qui consiste à payer pour retirer les pubs ou consentir au ciblage est discuté par les autorités européennes qui jugent le choix parfois trompeur ou déséquilibré pour l’utilisateur.
Cela ne vise pas spécifiquement les proches de personnes décédées mais montre que la logique publicitaire des plateformes, y compris autour de données sensibles, est sous tension réglementaire.
Facebook ne vend pas les données des morts. La plateforme monétise l’attention des vivants qui gravitent autour des profils, des hommages et des démarches liées au deuil.
Le ciblage se fait par comportements et proximités (visites de sites funéraires, requêtes, intérêts), et la collecte se prolonge souvent chez les tiers via des traceurs.
La valeur n’est pas le profil du défunt, mais la circulation sociale et l’émotion qu’il continue d’organiser.
Le death positive : alternative ou nouvelle injonction ?
Né aux États-Unis, le mouvement death positive voulait libérer la parole. Mais sa diffusion rapide a ouvert un nouveau marché :
- Séminaires payants : ateliers de death coaching de 300 à 600 €.
- Contenus sponsorisés : podcasts financés par des assureurs obsèques.
- Produits dérivés : urnes design, formations privées de doula de la mort.
Ce qui devait libérer devient une norme implicite. Il faudrait bien mourir, positivement donc, sous peine de rester prisonnier du vieux tabou.
Le casque anti-bruit existentiel
Nous avons mis un casque anti-bruit existentiel à nos enfants. Ils n’entendent ni les récits de passage ni les chants funèbres. Seulement des notifications.
Quand on l’enlève, le bruit de la finitude est assourdissant.
Questions iconoclastes
- Qui s’enrichit du déni de la mort ? Assureurs, laboratoires pharmas, pompes funèbres, plateformes numériques ?
- En protocolisant la fin, les soins palliatifs n’ajoutent-ils pas une couche de médicalisation ?
- Le mouvement death positive n’est-il pas devenu une nouvelle norme sociale ?
- Pourquoi les inégalités sociales devant la mort restent-elles invisibles dans le débat public ?
- À qui appartient la mort : à l’individu, à la famille, à l’État, ou au marché ?
Préparation ou courage ?
La société qui camoufle la mort produit de l’angoisse. Celle qui ose la regarder produit de la capacité. Mais rouvrir l’espace critique ne suffit pas.
Concrètement, cela signifie :
- Multiplier les espaces de parole hors institutions médicales (cafés, bibliothèques, lieux culturels).
- Introduire la death literacy dans la vie citoyenne (écoles, associations, communes).
- Créer des contre-rituels non marchands (arbres de mémoire, récits collectifs, archives familiales).
- Réclamer un droit au deuil digne (congés élargis, reconnaissance sociale de la perte).
Ici, l’iconoclasme est d’oser dire que la mort n’est pas une marchandise. C’est le miroir de nos liens et de nos structures de pouvoir.
Une société courageuse n’est pas celle qui embellit la mort, mais celle qui rend ses citoyens capables de l’habiter sans être captifs des assurances, de protocoles ou de slogans positifs.
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Questions fréquentes – FAQ’s
Comptes mémorialisés = attention et interactions monétisables
Facebook ne vend pas les données des morts. La plateforme monétise l’attention des vivants (amis, proches, groupes) via l’affichage publicitaire classique autour des hommages, anniversaires et souvenirs. La valeur réside dans les impressions, le temps passé, les commentaires, les et partages.
Ciblage des endeuillés : indirect plutôt que direct
Le deuil n’est pas un segment publicitaire natif, mais on peut toucher les proches par comportements et proximités : centres d’intérêt et mots-clés (funérailles, démarches post-décès), audiences similaires créées depuis des visiteurs de sites funéraires (pixels/serveur-side), ciblage contextuel autour des contenus consultés.
Une base de mémoire est un capital d’archives et de trafic
Les profils mémorialisés génèrent des pics récurrents d’activité (dates-anniversaires, souvenirs du jour), donc du trafic monétisable. La valeur vient de la circulation sociale des vivants, pas d’une revente des profils inactifs.
Chaîne de monétisation élargie (hors plateforme)
Dès qu’un proche clique sur une annonce, le site tiers peut capter ses données (cookies, pixels, IDs) et prolonger la monétisation (retargeting multi-plateformes, agrégation de segments funéraires).
Effets périphériques et risques
La visibilité donnée au deuil génère fraudes et captations opportunistes. Faux lives d’obsèques, pages d’hommages usurpées, demandes de dons douteuses, démarchages agressifs. Vulnérabilité émotionnelle égale plus grande sensibilité au nudge publicitaire.
Cadre et limites réglementaires (UE)
Le modèle « consentir au ciblage ou payer » est sous tension (catégories sensibles, transparence, droit d’opposition). L’évolution du cadre peut restreindre certains modes de monétisation autour de données sensibles.
À retenir
Facebook ne vend pas les données des morts. La plateforme monétise l’attention des vivants autour des profils, des hommages et des démarches liées au deuil. Le ciblage passe surtout par des questions de comportements, de contextes et de proximités, puis se prolonge chez des tiers via des traceurs.
Ressources
- Coût des obsèques & différence “contrat obsèques / assurance décès” : estimations et explications grand public (Prévoir, MetLife, AG2R, Malakoff Humanis).
- Démarches après un décès & directives anticipées
- Soins palliatifs : Ministère de la Santé, portail d’information fin de vie.
- Inégalités d’accès et contexte français récent (questionnement “où trouver des palliatifs près de chez moi ?”)
- Death literacy (notion & DLI, questions du type “c’est quoi la death literacy ?”). Études et validations (PMC, BMC Palliative Care, Frontiers).
- Death positive & offres marchandes. Articles explicatifs et formations / activités en France (L’ADN, Happy End, doula fin de vie).